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Don du sang : la fin de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ?

Anne Monpion , 20 mai 2015

En France, un arrêté de 2009 du ministre de la Santé et des Sports prévoit que lors de l’entretien préalable au don du sang, un homme ayant eu des relations sexuelles avec un homme peut être écarté de ce don. Monsieur Léger s’est vu appliqué ces dispositions et a introduit un recours devant le Tribunal administratif de Strasbourg en arguant de la méconnaissance, par cette réglementation, des dispositions de la directive 2004/33 de la Commission du 22 mars 2004 portant application de la directive 2002/98, du Parlement européen et du Conseil, concernant certaines exigences techniques relatives au sang et aux composants sanguins qui prévoit des cas dans lesquels le comportement à risque implique soit une exclusion permanente soit une exclusion temporaire du don de sang. Le Tribunal administratif de Strasbourg a sursis à statuer et posé à la Cour de justice de l’Union la question préjudicielle tendant à déterminer si l’exclusion permanente du don de sang d’un homme ayant des rapports sexuels avec un autre homme est conforme à la directive précitée. Après avoir relevé l’existence de divergences entre les différentes versions linguistiques des dispositions de la directive en ce qui concerne l’intensité du risque qui implique l’exclusion permanente du don de sang, la Cour de justice, dans un arrêt du 29 avril 2015, a clarifié ces divergences en se fondant, conformément à sa jurisprudence, sur l’économie générale et la finalité de la directive. Elle a ainsi considéré que l’exclusion permanente prévue par la directive 2004/33 concerne les individus dont le comportement sexuel les expose à un « risque élevé » de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang alors que l’exclusion temporaire du don de sang porte sur un risque moins élevé.

A partir de là, la Cour de justice, par des considérants très précis, fournit à la juridiction de renvoi un véritable guide lui permettant non seulement d’analyser la conformité de l’arrêté français aux dispositions de la directive mais va plus loin en examinant le texte à l’aune du droit de l’Union en général.  La première étape à laquelle la juridiction de renvoi est invitée à se livrer consiste à apprécier l’existence d’un risque élevé de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang en vérifiant si, les connaissances médicales, scientifiques et épidémiologiques actuelles sont fiables et toujours pertinentes. En deuxième lieu, si elle considère l’existence d’un risque élevé, elle doit examiner la conformité de l’exclusion permanente au regard des droits fondamentaux,  en particulier l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle consacrée à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que les Etats membres doivent respecter lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Sur ce point, la Cour de justice n’hésite pas à guider  l’appréciation de la juridiction de renvoi puisqu’elle précise qu’il est constant que la contre-indication permanente du don de sang pour un homme ayant eu des rapports sexuels avec un homme constitue une limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la Charte.

Dans un troisième temps, et donc sans utiliser le conditionnel, elle indique qu’il convient alors d’examiner si cette contre-indication remplit les conditions fixées par  la Charte en vue de  justifier cette limitation. Ainsi, il y a lieu de vérifier si elle répond à un objectif d’intérêt général et, dans l’affirmative, si elle respecte le principe de proportionnalité. La Cour de justice précise qu’en effet, en visant à réduire au minimum le risque de transmission d’une maladie infectieuse aux receveurs, l’exclusion contribue par conséquent à l’objectif général d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine. En ce qui concerne le principe de proportionnalité, la Cour de justice invite  la juridiction de renvoi à exercer son pouvoir d’appréciation en précisant qu’il lui appartient de vérifier s’il existe des techniques efficaces de détection du VIH pour éviter la transmission aux receveurs d’un tel virus. Plus précisément, elle doit vérifier si les progrès de la science ou de la technique sanitaire permettent d’assurer un niveau élevé de protection de la santé des receveurs sans que la charge qui en résulte ne soit démesurée par rapport aux objectifs de protection de la santé visés. Si ce n’est pas le cas, la mesure ne sera proportionnée que s’il n’existe pas de méthodes moins contraignantes pour assurer ce niveau élevé de protection. Il est patent de constater que sur ce sujet sensible portant sur les droits fondamentaux de la personne humaine, la Cour de justice a considérablement guidé la juridiction de renvoi, de sorte que le Gouvernement français n’a pas attendu la décision du Tribunal administratif de Strasbourg pour annoncer que législation française en la matière pourrait être amenée à changer sous peu.

Un projet de loi en cours d’examen par le Parlement prévoit de consacrer la disposition selon laquelle « nul ne peut être exclu du don de sang en raison de son orientation sexuelle ». La portée des décisions de la Cour de justice de l’Union portant sur la protection des droits fondamentaux n’a  rien à envier à celle des  décisions de la Cour européenne de droits de l’Homme.


Anne Monpion , «Don du sang : la fin de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ?», www.ceje.ch, Actualité du 20 mai 2015