fb-100b.png twitter-100.pnglinkedin-64.png | NEWSLETTER  |  CONTACT |

Compétence de la CJUE dans le domaine de la PESC et justiciabilité de la mission Eulex Kosovo

Relwende Louis Martial Zongo , 16 novembre 2015

Le 12 novembre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt (aff. C-439/13 P) suite au pourvoi formé  par une société de droit italien, la société Elitaliana SpA, contre une ordonnance du Tribunal rendue le 4 juin 2013 dans une affaire (aff. T-213/12)  l’opposant à la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, la mission Eulex Kosovo.

Relative à une mesure d’adjudication d’un marché public relatif à des prestations de services d’hélicoptère à des fins d’assistance civile, cette décision apporte des réponses à deux questions dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE. Il s’agit d’une part, de la portée de l’exception, dans domaine de la PESC, à la compétence générale de la Cour, et d’autre part, de la justiciabilité, devant cette dernière, des missions PESC visées à l’article 42 du traité UE.

En l’espèce, la société italienne s’était vu refuser l’adjudication du marché public au profit d’un autre soumissionnaire dont l’offre avait été classée première. Suite au refus supplémentaire d’accéder à certains documents du dossier d’offre de l’entreprise adjudicataire, la société Elitaliana avait exercé un recours en annulation devant le Tribunal contre ces deux décisions. Devant le Tribunal, Eulex Kosovo avait soulevé une exception d’irrecevabilité en soutenant d’abord qu’elle n’avait pas la qualité de défenderesse devant la CJUE compte tenu du fait qu’elle ne bénéficiait pas du statut d’organe ou d’organisme de l’UE au sens de l’article 263 du traité FUE. Ensuite, Eulex Kosovo avait estimé que le Tribunal n’était pas compétent en raison du fait que les décisions litigieuses avaient été adoptées sur la base des dispositions du traité FUE relatives à la PESC. Sans juger utile d’entrer en matière sur la question de la compétence, le Tribunal avait accueilli l’exception d’irrecevabilité soulevée par la mission de l’UE en relevant que cette dernière ne disposait pas de la personnalité juridique et qu’il n’était pas prévu qu’elle puisse être partie à une procédure devant les juridictions de l’Union. Dans le pourvoi formé devant la Cour de justice, Elitaliana a demandé l’annulation de l’ordonnance du Tribunal en considérant que celui-ci aurait dû reconnaitre à Eulex Kosovo la qualité d’organe ou d’organisme de l’UE au sens de l’article 263 du traité FUE. Elle a également soutenu que c’était à tort que ce dernier avait assimilé les actes adoptés par le chef de la mission Eulex Kosovo à une délégation de pouvoirs et avait dénié l’existence d’une erreur excusable à son profit.

Considérant l’importance de la question de la compétence des juridictions de l’Union dans ce contexte ainsi que le caractère d’ordre public de ce moyen d’irrecevabilité, la Cour de justice a décidé de se prononcer d’office après avoir ordonné la réouverture de la procédure orale et invité l’avocat général à présenter de nouvelles conclusions uniquement à cette fin.

Pour la Cour, l’article 24, paragraphe 1, alinéa 2, du traité UE et l’article 275 du traité FUE, lesquels soustraient le domaine de la PESC à la compétence de la Cour de justice de l’UE, doivent être interprétés de manière restrictive dans la mesure où ils constituent une exception à sa compétence générale prévue à l’article 19 du traité UE. Elle poursuit en rappelant que, conformément à l’article 41, paragraphe 2, alinéa 1, du traité UE, les dépenses opérationnelles engendrées dans le cadre de la mise en œuvre de la PESC relèvent du budget de l’Union à l’exception des dépenses afférentes à des opérations ayant des implications militaires, de celles effectuées dans le domaine de la défense ou lorsque le Conseil en décide autrement. Aussi conformément à l’article 16, paragraphe 2, de l’action commune 2008/124 relative à la mission Eulex Kosovo, les dépenses de cette dernière sont gérées conformément aux règles et procédures communautaires applicables au budget général de l’Union. La mission Eulex Kosovo étant de nature civile et les dépenses afférentes au marché public en cause ayant été prévues pour être affectées au budget de l’Union, la Cour de justice en infère que ledit marché relève du droit budgétaire de l’Union, en l’occurrence, du règlement financier n°1605/2002 applicable ratione temporis à l’affaire au principal. Elle en conclut que : « Eu égard aux circonstances propres à l’espèce, il ne saurait être considéré, que la portée de la limitation dérogatoire à la compétence de la Cour prévue à l’article 24, paragraphe 1, alinéa 2, et à l’article 275 du traité FUE, s’étend jusqu’à exclure que la Cour soit compétente pour interpréter et appliquer les dispositions du règlement financier en matière de passation de marché ». Il convient de relever que la Cour de justice rejoint, par cette affirmation, la position de l’avocat général NIILO Jääskinen qui avait estimé, dans ses conclusions, que : « le fait générateur de la compétence de la Cour résulte donc de l’engagement du budget de l’Union et de l’adoption de décisions ayant pour objet d’assurer son exécution dans le cadre de fonctions exercées par des entités établies conformément aux actes relevant de la PESC ».

Quant à la justiciabilité de la mission Eulex Kosovo devant les juridictions de l’Union, la Cour de justice a examiné, dans un premier temps, le statut de cette dernière conformément à l’action commune 2008/124. À ce sujet, il est ressorti de l’article 11, paragraphe 2, de ladite action commune, qu’Eulex est une mission civile de l’Union, menée au Kosovo par l’Union européenne dans le cadre de sa politique étrangère et de sécurité commune, et placée sous le contrôle politique du Conseil et du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Au plan budgétaire et financier, la Cour a relevé que même si conformément à l’article 8, paragraphe 5, de l’action commune, le chef de la mission d’Eulex Kosovo est responsable de l’exécution du budget de la mission, cette même disposition prévoit qu’il signe un contrat à cet effet avec la Commission, première responsable de l’exécution du budget de l’Union conformément à l’article 17 du traité UE et de l’article 317 du traité FUE. Aux termes de l’article 16, paragraphe 4, de l’action commune, le chef de la mission rend compte à la Commission de l’exécution du budget de la mission. Dépourvue ainsi de personnalité juridique et étant de durée limitée, la mission Eulex Kosovo ne saurait être qualifiée d’ « organe ou d’organisme » de l’Union au sens de l’article 263 du traité FUE. Dans ce sens, la Cour affirme que c’est à bon droit que le Tribunal a jugé qu’Eulex Kosovo avait, en réalité, adopté les mesures litigieuses dans le cadre d’une délégation de pouvoirs conformément aux « principes méroniens » de la délégation des pouvoirs en droit de l’Union européenne. Les actes adoptés en vertu des pouvoirs délégués étant normalement imputables à l’institution délégante, la Cour de justice termine en affirmant qu’il appartenait à la Commission de défendre en justice l’acte en cause. Quant à l’erreur de droit que le Tribunal aurait commis en déniant l’existence d’une erreur excusable dans le chef de la société italienne, la Cour précise que lorsque la requête est dirigée contre une personne autre que celle à qui l’acte querellé est imputable, elle ne peut ni contraindre, ni se substituer à la volonté manifeste du requérant et n’a d’autre choix que de déclarer la demande irrecevable. En écartant également ce moyen, la Cour de justice rejette le pourvoi dans son ensemble.

Cet arrêt appelle deux remarques. D’abord, il convient de s’en féliciter dans la mesure où il affirme la compétence de la Cour de justice de l’UE pour connaître des décisions prises par des missions PESC dans le domaine relevant du budget de l’Union. Tout en étant conforme à l’article 40, alinéa 1, du traité UE, qui fait de la Cour la « gardienne fondamentale de la délimitation des compétences » dans l’Union, cette décision contribue à l’érosion des limitations à la compétence de la Cour en matière de PESC et au renforcement du contrôle juridictionnel au sein de l’Union européenne. Toutefois, elle laisse toujours en suspens la question de la justiciabilité des missions PESC, qui bénéficient à ce jour d’une immunité de juridiction totale au sein de l’UE.  Il s’agit là d’une lacune que les États membres de l’Union européenne, appelés à promouvoir l’État de droit, ne sauraient longtemps ignorer.


Martial Zongo, "Compétence de la CJUE dans le domaine de la PESC et justiciabilité de la mission Eulex Kosovo", actualité juridique du 16 novembre 2015, www.ceje.ch