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Droit au versement d’intérêts sur le trop-perçu et autonomie procédurale des États membres

Mateusz Milek , 19 juin 2023

Dans son arrêt du 8 juin 2023, C-322/22 E. contre Dyrektor Izby Administracji Skarbowej, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé que le droit de l’Union européenne s’oppose à une règle procédurale nationale qui limite le cours des intérêts sur le trop-perçu dus au contribuable concerné.

E. (le requérant) a demandé à l’administration fiscale polonaise le remboursement des trop-perçus d’impôt sur les sociétés encourus au titre des années 2012, 2013 et 2014, ainsi que des intérêts sur ces trop-perçus pour les périodes allant du jour de prélèvement desdits trop-perçus jusqu’au jour de leur remboursement.Le requérant a fait valoir que la constatation des trop‑perçus découlait de l’arrêt du 10 avril 2014, C-190/12, Emerging Markets Series of DFA Investment Trust Company, EU:C:2014:249 (ci-après l’« arrêt Emerging Markets »). L’administration fiscale polonaise a fait droit à la demande visant le remboursement des trop-perçus mais elle n’a pas entièrement accueilli la demande visant le versement des intérêts sur ces trop-perçus. Conformément à la législation polonaise en vigueur, si la demande de constatation du trop-perçu a été introduite dans un délai de 30 jours à compter de la publication de l’arrêt de la Cour de justice au Journal officiel de l’Union européenne, les intérêts courent à partir du jour du prélèvement de ce trop-perçu jusqu’au trentième jour suivant la publication de l’arrêt de la Cour au Journal officiel de l’Union européenne (ci-après le « mécanisme de limitation »). En revanche, si la même demande a été introduite après l’expiration du même délai, alors que le trop-perçu est né également après cette expiration, les intérêts ne sont pas dus (ci-après le « mécanisme d’exclusion »). Ces règles procédurales visaient à éviter que les contribuables ne diffèrent leur demande de remboursement de trop-perçus afin de bénéficier de montants d’intérêts plus conséquents.

Dans le cas d’espèce, en ce qui concerne les trop-perçus encourus au titre des années 2012 et 2013, l’administration fiscale a accueilli la demande pour la période allant du jour du prélèvement de l’impôt jusqu’au trentième jour suivant la publication de l’arrêt Emerging Markets au Journal officiel de l’Union européenne, soit le 10 juillet 2014, et elle a rejeté cette demande pour le surplus. En ce qui concerne le trop-perçu encouru au titre de l’année 2014, l’administration fiscale a intégralement rejeté la demande d’intérêts, étant donné que l’impôt avait été prélevé après cette date.

Le requérant a introduit un recours contre la décision devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny we Wrocławiu (tribunal administratif de voïvodie de Wrocław, Pologne) qui l’a rejeté. Par la suite, le requérant s’est pourvu en cassation devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne) qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice la question préjudicielle de savoir si le droit de l’Union européenne, en particulier, le principe de coopération loyale et le principe d’effectivité, s’oppose à une réglementation nationale prévoyant des mécanismes de limitation et d’exclusion tels qu’au principal.

Dans un premier temps, la Cour de justice a rappelé qu’en vertu du principe de coopération loyale, consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, les États membres sont tenus d’effacer les conséquences illicites d’une violation du droit de l’Union et de prévoir des modalités procédurales, pour les recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de ce dernier, qui ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qui ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité). Il découle également d’une jurisprudence constante que tout administré auquel une autorité nationale a imposé le paiement d’une taxe, d’un droit, d’un impôt ou d’un autre prélèvement en violation du droit de l’Union a, en vertu de ce dernier, le droit d’obtenir de la part de l’État membre concerné non seulement le remboursement de la somme d’argent indûment perçue, mais aussi le versement d’intérêts visant à compenser l’indisponibilité de cette dernière.

Cette compensation peut s’effectuer, suivant les cas, selon les modalités qui sont prévues par la réglementation applicable de l’Union ou, en l’absence d’une telle réglementation, selon celles qui trouvent à s’appliquer en vertu du droit national. En l’absence de réglementation de l’Union en matière de demandes de remboursement d’impôts faites aux États membres et, plus particulièrement, en matière de versement d’intérêts de retard sur des impôts indûment perçus, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de prévoir les modalités selon lesquelles de tels intérêts doivent être versés en cas de remboursement d’impôts perçus en violation du droit de l’Union à condition que les principes d’équivalence et d’efficacité soient respectées.   Ces modalités doivent, d’une part, conformément au principe d’équivalence, ne pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne et, d’autre part, conformément au principe d’effectivité, ne pas rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union. La Cour de justice a admis que les demandes de remboursement de trop-perçus et de paiement d’intérêts sur ces trop-perçus sont soumises aux règles nationales de procédure, qui peuvent imposer au demandeur d’agir avec une diligence raisonnable afin d’éviter le préjudice ou d’en limiter la portée. Il n’en reste pas moins, toutefois, que ces modalités doivent respecter les principes d’équivalence et d’effectivité.

S’agissant, en premier lieu, du mécanisme de limitation dans le temps du cours des intérêts au regard dudit principe, la Cour de justice a considéré que le dépôt d’une demande de remboursement dans les 30 jours suivant la publication au Journal officiel de l’Union européenne de l’arrêt de la Cour de justice d’où découle la constatation de la contrariété de l’imposition en cause au droit de l’Union peut être considéré comme une diligence raisonnablement exigible du contribuable qui a pris part au litige à l’occasion duquel cet arrêt de la Cour de justice a été rendu. En revanche, un tel dépôt ne saurait être raisonnablement exigé de tout autre contribuable qui, n’étant pas partie audit litige, n’est pas susceptible d’être informé du prononcé de l’arrêt de la Cour de justice dans un délai aussi court. Ce dernier contribuable peut, sans avoir commis de négligence, ne prendre connaissance du fait que l’imposition qu’il a subie violait le droit de l’Union qu’un certain temps après l’expiration du délai de 30 jours suivant ladite publication.

Au surplus, même s’agissant du contribuable partie au litige ayant donné lieu audit arrêt, qui a, en principe, connaissance de ce dernier le jour de son prononcé, il ne peut pas toujours être raisonnablement attendu de lui qu’il dépose une demande de remboursement dans les 30 jours suivant la publication du même arrêt au Journal officiel de l’Union européenne. En effet, lorsque la constatation de la contrariété de l’imposition en cause au droit de l’Union dépend du résultat de vérifications que, dans son arrêt, la Cour de justice demande à la juridiction de renvoi d’opérer, une période dépassant largement l’expiration de ce délai de 30 jours peut s’écouler avant que ladite imposition s’avère contraire au droit de l’Union, sur la base des considérations figurant dans l’arrêt de la Cour de justice. Cela est d’autant plus le cas lorsque cette juridiction, lors de la mise en œuvre de l’arrêt de la Cour de justice, ne procède pas elle-même aux vérifications demandées, mais renvoie à l’administration fiscale pour que celle-ci y procède.

S’agissant, en second lieu, du mécanisme d’exclusion de tout intérêt sur le trop-perçu appliqué lorsque ledit trop-perçu est encouru après l’expiration du délai de 30 jours suivant la publication au Journal officiel de l’Union européenne de l’arrêt de la Cour de justice, il convient de relever que la circonstance qu’une imposition pratiquée par un État membre s’avère contraire au droit de l’Union à la lumière d’un arrêt de la Cour de justice n’implique pas qu’un contribuable pourra concrètement empêcher le versement de l’impôt en question. En effet, il n’est pas exclu qu’un impôt continue d’être prélevé, en violation du droit de l’Union, postérieurement au prononcé et à la publication au Journal officiel de l’Union européenne d’un tel arrêt. Là encore, cela peut d’autant plus être le cas lorsque la constatation de la contrariété de l’imposition en cause au droit de l’Union dépend du résultat d’appréciations et de vérifications que, le juge de renvoi est invité à opérer et que l’administration fiscale sera emmenée à procéder.

Eu égard à ces considérations, la Cour de justice a conclu que le principe d’effectivité, lu en combinaison avec le principe de coopération loyale s’oppose à une réglementation nationale qui, lorsque une demande de remboursement d’un trop-perçu fiscal est présentée plus de 30 jours après la publication au Journal officiel de l’Union européenne d’un arrêt de la Cour de justice d’où découle la constatation de la contrariété de l’imposition en cause au droit de l’Union, limite le cours des intérêts sur le trop-perçu dus au contribuable concerné au trentième jour suivant cette publication, voire exclut tout intérêt dans le cas où ledit trop-perçu a été encouru par le contribuable après ledit trentième jour. Cet arrêt présente une belle application de la doctrine de l’autonomie procédurale des États membres, limitée par les principes d’équivalence et d’efficacité qui permet à la Cour de justice de mettre en balance, d’une part, les intérêts légitimes sous-tendant des règles procédurales nationales et, d’autre part, la nécessité de garantir l’efficacité du droit de l’Union européenne.

 

Mateusz Miłek, Droit au versement d’intérêts sur le trop-perçu et autonomie procédurale des États membres, actualité du CEJE n° 21/2023, 19 juin 2023, disponible sur www.ceje.ch