fb-100b.png twitter-100.pnglinkedin-64.png | NEWSLETTER  |  CONTACT |

Révocation d’un permis d’établissement – cas d’infractions d’extrême gravité

Alicja Zapedowska , 24 mai 2016

Le droit de séjour et d’établissement découlant de l’Accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne (ci-après ALCP) n’est pas absolu. Le droit de demeurer et de séjourner en Suisse peut être limité pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique au sens de l’article 5, annexe I, ALCP. Cette dernière disposition est une limitation du droit à la libre circulation qui doit être analysée de manière restrictive. En effet, il doit s’agir d’une menace réelle et actuelle, qui se caractérise par une certaine gravité et qui touche à un intérêt fondamental de la société. L’autorité nationale détient un large pouvoir d’appréciation pour déterminer les comportements et infractions qui permettent de révoquer les bénéfices de la libre circulation des personnes.

L’arrêt du Tribunal fédéral du 11 avril 2016 (2C_910/2015) permet d’illustrer le raisonnement de la dernière instance nationale suisse en cas de révocation d’un permis d’établissement pour les motifs en question. Il concerne Monsieur X., ressortissant français, vivant en Suisse depuis 1989, détenteur d’un permis d’établissement. En 2006, il a été reconnu coupable d’actes d’ordre sexuel avec un enfant, de tentatives d’actes d’ordre sexuel avec un enfant, de contrainte sexuelle, d’actes d’ordre sexuel commis par une personne incapable de discernement ou de résistance et de viols sur les personnes de ses deux nièces. Suite à une procédure d’appel, Monsieur X., a finalement été condamné à 8 ans de réclusion. Ceci a amené le Service de la population et des migrants du canton de Fribourg (ci-après le Service cantonal) à révoquer le permis d’établissement de ce dernier et à lui impartir un délai pour quitter la Suisse compte tenu de sa condamnation et de l’existence d’une dette de CHF 82'275.- qui pèse sur lui.  

Le Tribunal fédéral, saisi par voie du recours en matière de droit public, se penche dès lors sur la question de savoir si la révocation en question est conforme au droit international et fédéral. L’ALCP ne réglementant pas la révocation des permis d’établissement, il est nécessaire d’appliquer la Loi fédérale sur les étrangers (LEtr). A teneur de l’article 63, alinéa 1, lettre b, LEtr, «  l'autorisation d'établissement ne peut être révoquée [que dans le cas où] l'étranger attente de manière très grave à la sécurité et à l'ordre publics en Suisse ou à l'étranger, les met en danger ou représente une menace pour la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse ». Par renvoi de l’article 63, alinéa 2, LEtr, un permis d’établissement peut être révoqué lorsque « l'étranger a été condamné à une peine privative de liberté de longue durée » au sens de l’article 62, lettre b, LEtr. La jurisprudence considère qu’une peine privative de liberté de longue durée est toute peine qui dépasse un an d’emprisonnement au sens de cette disposition.

Monsieur X. conteste le caractère réel et actuel de la menace qu’il pourrait constituer pour l’ordre public compte tenu notamment de son comportement correct depuis la commission des infractions. Le Tribunal fédéral précise que les infractions d’ordre sexuel commises à l’encontre d’enfants attentent un bien juridique particulièrement important et ce, de manière grave, qui nécessite une approche rigoureuse de la part des autorités. La juridiction de dernière instance se penche sur le cas d’espèce, relève la fréquence des abus commis sans scrupule par l’intéressé et le fait qu’il ne semble pas s’être rendu compte de l’importance et de la gravité de ses actes. En dernier lieu, le Tribunal fédéral constate que durant toute la procédure pénale il s’était défendu en blâmant ses victimes et en relativisant les infractions qu’il a commises, ce qui amplifie le sentiment de méfiance quant à son futur comportement. Ainsi, la menace réelle et actuelle que représente l’intéressé est confirmée.

Finalement, le Tribunal fédéral s’interroge sur la proportionnalité de la mesure à la lumière du droit à la vie privée et familiale au sens de l’article 8, paragraphe 1, CEDH et l’article 96 LEtr, qui requiert que soit prise en compte notamment la situation personnelle de la personne visée par la décision. Dans le cas d’espèce, il est question de mettre en balance sa vie familiale, soit les liens avec son épouse et ses enfants, et la nécessité et proportionnalité de la mesure prise par l’autorité. Comme le relève le Tribunal fédéral, il est possible de se prévaloir de l’article 8, paragraphe 1, CEDH lorsqu’une relation familiale réelle et étroite existe avec une personne ayant un droit de demeurer durablement en Suisse et que cette relation soit mise en péril par une décision de l’autorité. Néanmoins, la protection de la vie privée et familiale peut être limitée au sens de l’article 8, paragraphe 2, CEDH, à condition que cette ingérence soit proportionnée, c’est à dire raisonnable et nécessaire pour atteindre un but d’intérêt public ou privé. Il est de jurisprudence constante qu’une résidence de longue durée en Suisse est un critère important à prendre en compte dans la pesée des intérêts, mais n’est en soi pas un obstacle au renvoi, notamment compte tenu des infractions graves et répétées commises par l’intéressé. Le Tribunal fédéral relève aussi la capacité de l’intéressé à réintégrer son pays national : de langue maternelle française et disposant d’une bonne expérience professionnelle, il n’y a pas d’obstacle majeur à ce qu’il puisse refaire sa vie en France. Sa vie familiale sera certes mise en péril, mais comme le précise la juridiction fédérale, ni son mariage, ni la naissance de ses enfants ne l’ont dissuadé de commettre des infractions d’extrême gravité pendant une longue période. Après avoir analysé toutes les circonstances, le Tribunal fédéral rejette le recours de Monsieur X.

Cet arrêt offre une nouvelle illustration de l’analyse qui doit être effectuée en matière de renvoi pour cause de menace pour l’ordre et la sécurité publics. Il permet de constater que même si la révocation d’un permis d’établissement doit être ordonnée avec retenue, certains actes répréhensibles permettent de traiter la question avec une sévérité justifiée. Chaque cas particulier est analysé de manière à prendre en compte tous les intérêts en présence, mais le Tribunal fédéral reste vigilent aux comportements contradictoires de la personne visée, notamment lorsqu’il est question de biens lésés particulièrement importants. Ainsi, il n’est pas question de réponses schématisées et préconçues, mais bien d’une analyse particulière du cas d’espèce.

 

Alicja Zapedowska, « Révocation d’un permis d’établissement – cas d’infractions d’extrême gravité», Actualité du 24 mai 2016, disponible sur www.ceje.ch