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La notion d’avantage fiscal appliquée aux frontaliers indépendants dans les relations entre la Suisse et l’Union européenne

Mihaela Nicola , 11 mars 2013

L’arrêt rendu dans l’affaire C-425/11 constitue une importante prise de position de la Cour de justice de l’Union européenne sur la question de savoir si l’accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne (ALCP) s’oppose à l’application d’une règlementation fiscale d’un Etat membre, en vertu de laquelle des conjoints ressortissants dudit Etat membre se voient refuser l’octroi d’un avantage fiscal suite au transfert de leur résidence en Suisse.

Mme Ettwein et son époux, tous deux ressortissants allemands, exercent tous deux une  activité professionnelle indépendante en Allemagne, où ils perçoivent la totalité de leurs revenus. Ils contestent devant le Finanzgericht Baden-Württemberg le refus du Finanzamt Konstanz de traiter leur situation fiscale en application de la méthode dite du « splitting » prévue par la loi allemande relative à l’impôt sur le revenu, en raison du fait qu’ils ont transféré leur résidence d’Allemagne en Suisse. A la lumière de la législation allemande, la méthode du « splitting » consiste à additionner le revenu global des conjoints pour l’imputer ensuite fictivement à chacun d’entre eux à hauteur de 50% et l’imposer en conséquence. Le Finanzgericht Baden-Württemberg émet des doutes quant à la conformité de la législation allemande avec l’accord bilatéral, dans la mesure où cette législation subordonne l’octroi du bénéfice de l’imposition conjointe à la condition de la résidence commune des époux en Allemagne et décide de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.

Après avoir rappelé son arrêt Schumacker (aff. C-279/93), selon lequel le régime d’imposition conjointe, tel que prévu par la législation allemande, constitue un avantage fiscal, la Cour de justice examine dans un premier temps la question de savoir si une situation telle que celle des époux Ettwein entre dans le champ d’application de l’ALCP.En procédant à un examen de l’article 13, paragraphe 1, de l’annexe 1, de l’accord, elle estime que les requérants doivent être qualifiés de « frontaliers indépendants », au sens de ladite disposition. Selon la Cour de justice, la situation d’un « frontalier indépendant » doit être distinguée de celle d’un « indépendant », visé à l’article 12, de l’annexe I, de l’ALCP. Ainsi, si cette dernière disposition soumet le séjour des intéressés à la condition de la délivrance d’un titre de séjour, une telle condition n’est pas requise pour les frontaliers indépendants. Ces derniers peuvent en outre se prévaloir du principe d’égalité de traitement, prévu à l’article 15, paragraphe 1, de l’annexe I, de l’ALCP, lequel s’étend aux avantages fiscaux, en application de l’article 9, paragraphe 2, de la même annexe.

Une fois l’application des dispositions de l’ALCP établie, la Cour de justice se penche dans un second temps sur la question qui est au cœur de cette affaire, à savoir si un Etat membre est autorisé de refuser l’octroi d’un avantage fiscal à ses propres ressortissants résidants en Suisse, en application de l’article 21, paragraphe 2, de l’ALCP. En effet, cette disposition permet l’application d’un traitement différent en matière fiscale entre des contribuables résidents et des contribuables non-résidents, lorsqu’ils ne se trouvent pas dans une situation comparable. Selon la Cour de justice, la réponse à cette question est, en l’espèce, négative. Sur ce point, elle souligne que le principe de non-discrimination interdit, également en matière fiscale, non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination. S’il est vrai qu’il appartient, en principe, à l’Etat de résidence d’imposer le contribuable de manière globale, tout en tenant compte de sa situation personnelle et familiale, il n’en reste pas moins que l’Etat de la source des revenus des intéressés doit prendre en considération les mêmes critères, lorsque ces derniers perçoivent leur revenus exclusivement dans cet Etat membre et à ce titre, leur imposition globale est effectuée par cet Etat membre. Or, comme la Cour de justice le souligne, un contribuable non-résident, qui perçoit la totalité ou la quasi-totalité de ses revenus dans l’Etat où il exerce ses activités professionnelles se trouve, objectivement, dans la même situation, en ce qui concerne l’impôt sur le revenu, que le résident de cet Etat qui y exerce des activités comparables. Compte tenu de l’interprétation retenue  par la Cour de justice, le refus du Finanzamt Konstanz d’accorder aux époux Ettwein le bénéfice de l’imposition conjointe en application de la méthode du « splitting » doit être considéré comme incompatible avec les dispositions pertinentes de l’ALCP.

Cet arrêt vient renforcer l’application du principe de non-discrimination en matière d’avantages fiscaux dans les relations bilatérales à l’égard des frontaliers indépendants ressortissants des Etats membres et de la Suisse, ce qui est de nature à faciliter leur mobilité sur les territoires de ces Etats.


Reproduction autorisée avec l’indication: Mihaela Nicola, « La notion d’avantage fiscal appliquée aux frontaliers indépendants dans les relations entre la Suisse et l’Union européenne », www.ceje.ch, actualité du 11 mars 2013