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Le traité de Lisbonne et la Suisse - Compte rendu de la conférence du 17 septembre 2010

Ljupcho Grozdanovski , 27 septembre 2010

Le traité de Lisbonne et la Suisse, voici le sujet qui occupa à Berne, le 17 septembre 2010, une assemblée de près de 280 participants lors de la conférence d’une journée organisée par la Direction du droit international public du DFAE en collaboration avec le Bureau de l’intégration DFAE/DFE, ainsi qu’avec l’Association suisse pour le droit européen (ASDE) et la Société suisse de droit international (SSDI) à Berne, à la salle du Grand conseil, le 17 septembre 2010, de 9h00 à 17h00.

Les interventions ont été présentées en français et en allemand par des professeurs, praticiens du droit de l’Union européenne, conseillers suisses, parlementaires, magistrats et juristes spécialisés. Ces derniers ont exposé les différents apports du traité de Lisbonne et ont incité le public à entrer dans des discussions animées en tables rondes.

Après les allocutions d’ouverture (1), Monsieur le professeur Jean Paul Jacqué a été le premier intervenant. L’objet de ses propos a été de présenter, commenter et évaluer les changements apportés par le traité de Lisbonne, à la lumière des deux objectifs recherchés par ce dernier : le renforcement de la légitimité démocratique de l’Union et l’accroissement de l’efficacité de ses institutions. Qualifiant ledit traité « d’œuvre d’art du trompe l’œil », il insista sur le fait que ce dernier ne constitue pas une innovation au sens strict car il reprend, dans une large mesure, les dispositions du traité établissant une Constitution pour l’Europe, seule la présentation diffère.

A la suite de cette intervention, Madame le professeur Christine Kaddous a pris la parole afin de présenter les changements apportés dans le domaine de la politique étrangère de l’Union. Elle a axé sa réflexion, d’une part, sur la restructuration et l’amélioration de l’action externe de l’Union, et d’autre part, sur l’uniformisation et la simplification en « trompe l’œil » de ladite action. Dans la première partie de son discours, l’oratrice a abordé les nouveautés introduites par le traité de Lisbonne relatives aux changements institutionnels et à la meilleure définition de la politique étrangère. Sur le plan institutionnel, la reconnaissance expresse de la personnalité juridique de l’Union, la création de la fonction de Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et celle du service européen pour l’action extérieure, constituent, selon le professeur Kaddous, des avancées majeures qui devraient renforcer la cohérence de la politique étrangère de l’Union. Qualifiant toutefois ces avancées de « trompe l’œil », l’oratrice s’interrogea sur la question de savoir si celles-ci permettront réellement d’atteindre une cohérence accrue de l’action extérieure de l’Union. En effet, la pluralité d’acteurs dans la construction et la mise en œuvre de la politique étrangère ainsi que le maintien de la spécificité de la PESC, malgré la disparition des piliers, risquent de compromettre ladite cohérence. A titre de conclusion, il a été souligné qu’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact réel des changements apportés par le traité de Lisbonne dans le domaine de l’action externe de l’Union.

Le premier panel (2), modéré par Madame Rita Adam, débuta ensuite sa discussion par une analyse des effets de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne sur la Suisse. Les intervenants ont souligné la nécessité pour la Suisse d’intensifier le dialogue avec l’Union européenne, afin de repérer les points de conflits et d’y apporter des solutions appropriées. Selon eux, les modifications apportées par le traité de Lisbonne atténuent à différents égards le déficit démocratique de l’Union. Dans ce contexte, les parlements nationaux voient leur participation accrue dans la mesure où ils peuvent veiller au respect du principe de subsidiarité, lequel est indispensable pour l’exercice des compétences de l’Union et des Etats membres. En outre, le droit d’initiative populaire introduit par le traité de Lisbonne constitue une nouvelle forme de démocratie directe qui devrait rapprocher les institutions de l’Union des citoyens européens.

L’après midi débuta avec l’intervention de Monsieur le professeur Roland Bieber qui présenta la démocratisation de l’Union européenne. L’orateur a d’abord rappelé que l’un des reproches les plus fréquents qui a été fait à l’Union, a été celui du déficit démocratique. Or selon le professeur, le traité de Lisbonne a véritablement permis de renforcer la légitimité démocratique de l’Union, d’une part avec l’intégration de la Charte des droits fondamentaux dans les traités et d’autre part, avec la création d’un nouvel outil juridique qui accroît la participation des citoyens européens dans l’élaboration des normes qui les gouvernent : l’initiative citoyenne. Enfin, il a précisé que ce nouveau traité est une importante « impulsion » nécessaire à la démocratie de l’Union européenne.

Une seconde table ronde (3) a été ensuite réunie afin de discuter de la structure de l’Union européenne à la lumière du concept de fédéralisme ainsi que du régime politique et démocratique de l’Union.

Monsieur Alain Berset, en sa qualité de parlementaire, a souligné que la voie bilatérale, outil de coopération choisi par la Confédération suisse pour intégrer le droit de l’Union européenne, ne permet pas à notre pays de participer à la négociation des normes européennes. A ce titre, toute reprise ou harmonisation des normes suisses n’intervient nécessairement que a posteriori. Même si le choix de la voie bilatérale permet à la Suisse de conserver tout sa liberté dans la définition du contenu de ses lois, il n’en est pas moins que cette situation présente des désavantages et inconvénients - notamment démocratiques - et qu’il serait bon d’intensifier la sensibilisation des citoyens suisses sur ce point et sur une éventuelle adhésion.

Monsieur Thomas Pfisterer, en sa qualité d’ancien juge fédéral et d’ancien conseiller aux Etats, a souligné l’importance de la participation des cantons à l’élaboration de la politique européenne de la Suisse et s’est référé à l’avis qu’il a rendu en 2009 « Einbezug der Kantone in die Aussenpolitik des Bundes » qui a d’ailleurs été largement utilisé par le groupe de travail de la Conférence des gouvernements cantonaux « EuRéfCa » (Europe - Réformes - Cantons) dans la préparation de la position de celle-ci dans le processus d’intégration européenne.

Monsieur le professeur Andreas Auer a dressé le constat que le rapport entre la Suisse et l’Union européenne est analogue à celui de l’Union avec ses Etats membres. La question qui se pose est celle de savoir si les critères établis par l’article 2 du traité UE, lesquels visent à garantir le respect de l’identité des Etats membres dans le processus d’intégration, sont aptes à garantir un niveau de démocratie équivalant à celui qui existe dans le fédéralisme suisse.

A la suite des exposés du panel, Monsieur Hanspeter Mock a rappelé l’issue des votations des citoyens suisses en 2005 et 2009 au sujet des questions européennes. Sur ce point, Monsieur Berset a réagi en soulignant le fait que l’intégration massive du droit de l’Union dans le droit suisse rapproche un peu plus chaque jour le statut d’Etat tiers de la Suisse à celui d’un Etat membre de l’Union. Monsieur Auer a alors ajouté qu’il est cependant difficile de prévoir l’issue des votations futures des citoyens suisses sur les questions concernant l’Union européenne et plus particulièrement sur la question de l’adhésion, compte tenu notamment des changements de l’Union et des élargissements passés, successifs et à venir.

Madame la Conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey a clôturé cette journée en rappelant la grande étape que représente le traité de Lisbonne, une nouvelle base légale plus démocratique d’une intégration toujours plus grande tant sur le plan économique que politique. Mettant l’accent sur les avancées fondamentales du traité, la Conseillère fédérale a précisé que la Suisse partage, depuis toujours, la même géographie, la même culture et les mêmes valeurs que l’Union européenne. A ce titre, il apparaît nécessaire que la Suisse poursuive des échanges ouverts avec l’Union afin de la sensibiliser également aux préoccupations de la Suisse. Avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’oratrice a signalé que la compétence dévolue au Parlement européen d’approuver les accords internationaux pourrait rendre la poursuite de la voie bilatérale plus difficile. De ce fait, la Suisse devrait mieux suivre les travaux des commissions du Parlement européen et renforcer le lobbying auprès des parlementaires européens. En outre, l’institution du Haut représentant de l’Union représente une opportunité pour la Suisse de faire valoir ses intérêts auprès de l’Union. En tout état de cause, le débat politique qui anime la Suisse ne devrait pas aboutir à une adhésion de facto, sans droit de vote.

Madame la Conseillère fédérale a conclu cette journée en indiquant que bien qu’elle ne soit pas un Etat membre, la Suisse est, de fait, obligée de s’intéresser de près à l’Union, à ses nouvelles institutions, et de se projeter dans l’avenir de ses relations bilatérales.


(1) A cette occasion, prirent la parole Monsieur Valentin Zellweger, directeur de la Direction du droit international public, Monsieur Hans-Jürg Käser, Conseiller d’Etat, directeur de la police et des affaires militaires du Canton de Berne et Madame le professeur Christine Kaddous, Présidente de la SSDI et vice-présidente de l’ASDE.

(2) La première table ronde modérée par Madame Rita Adam, Vice-Directrice de la Direction du droit international public a réuni Monsieur Michael Reiterer, Ambassadeur de l’UE auprès de la Suisse, Madame Christa Markwalder, Conseillère nationale et Monsieur Henri Gétaz, Chef du Bureau de l’intégration DFAE/DFE.

(3) La seconde table ronde, modérée par Monsieur Hanspeter Mock, Chef de la Coordination politique du Bureau de l’intégration DFAE/DFE, a réuni Monsieur Alain Berset, Conseiller aux Etats, Monsieur Thomas Pfisterer, Ancien Juge fédéral et ancien Conseiller aux Etats et Monsieur Andreas Auer, Professeur.

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Reproduction autorisée avec l'indication : Ljupcho Grozdanovski, Jennie Desrutins, Mihaela Nicola, Stéphanie Dahmen, Araceli Turmo, "Le traité de Lisbonne et la Suisse - Compte rendu de la conférence du 17 septembre 2010", www.ceje.ch, actualité du 27 septembre 2010.