La libre circulation entre la Suisse et l’Union européenne a pris une place importante dans la politique après la votation du 9 février 2014. Ce même sujet est au cœur de l’arrêt du 27 février 2014 rendu dans l’affaire Royaume Uni c. Conseil (C-656/11).
Le Royaume-Uni demande à la Cour d’annuler la décision 2011/863 du Conseil, du 16 décembre 2011, relative à la position que doit adopter l’Union européenne au sein du Comité mixte institué par l’accord de libre circulation des personnes entre l’Union européenne et la Suisse. L’accord en question a été conclu en 1999 et coordonne notamment les systèmes de sécurité sociale. Dans cette matière, les parties sont convenues d’appliquer entre elles « les actes communautaires auxquels il est fait référence tels qu’en vigueur à la date de la signature de l’accord ». Ces actes figurent dans une annexe de l’accord et la décision 2011/863 porte précisément sur la modification de cette annexe afin d’y inclure les actes de l’Union les plus récents dont le règlement n° 883/2004 remplaçant et abrogeant le règlement n° 1408/71.
Un premier projet de décision ayant pour base juridique l’article 79, paragraphe 2, sous b), TFUE, en liaison avec l’article 218, paragraphe 9, TFUE avait été présenté au Conseil en 2010. Cette base juridique permet, conformément aux protocoles nº 20 et nº 21 annexés au TFUE, au Royaume-Uni de ne participer à la décision que lorsqu’il en manifeste la volonté. Le Royaume-Uni a indiqué qu’il souhaitait, tout en ne prenant pas part à la décision du Conseil, parvenir à un accord avec la Confédération suisse qui exclurait de la coordination des systèmes de sécurité sociale les personnes économiquement inactives. Cette solution a été refusée par la Suisse et une nouvelle proposition de décision a été présentée au Conseil, celle-ci basée sur l’article 48 TFUE, en liaison avec l’article 218, paragraphe 9, TFUE, cette base juridique ne permettant pas au Royaume-Uni de ne pas se voir imposer la décision. Cette nouvelle décision est la décision attaquée, adoptée par le Conseil en dépit des votes défavorables du Royaume-Uni et de l’Irlande.
Le Royaume-Uni, soutenu par l’Irlande, demande l’annulation de la décision et fait grief au Conseil d’avoir adopté la décision sur la base de l’article 48 TFUE. En adoptant la décision sur cette base juridique, le Conseil aurait privé le Royaume-Uni du droit de ne pas prendre part à la décision conformément au protocole nº 21. A l’appui de ce grief, le Royaume-Uni fait valoir que l’article 48 TFUE est une disposition accessoire au principe de libre circulation, à l’intérieur de l’Union, des travailleurs migrants salariés et non salariés qui sont ressortissants des États membres. La compétence que cet article confère ne pourrait être étendue afin d’adopter des actes en faveur de ressortissants des pays tiers ou des personnes économiquement inactives.
Le Conseil, soutenu par la France et la Commission, considère que l’article 48 TFUE est la base juridique matérielle appropriée. Il expose que le but de la décision attaquée est de faire en sorte que l’acquis de l’Union concernant la coordination des systèmes de sécurité sociale, s’applique tant aux ressortissants suisses ayant leur résidence sur le territoire de l’Union qu’aux ressortissants d’un État membre de l’Union résidant sur le territoire de la Confédération suisse. Le règlement nº 883/2004, au delà de la modification du champ d’application personnel du règlement qu’il remplace, met à jour et simplifie les règles en la matière. La décision attaquée a donc, selon le Conseil, pour objectif de mettre à jour les règles de coordination des systèmes de sécurité sociale déjà en vigueur entre les parties contractantes.
De plus, l’intégration des nouveaux règlements dans l’annexe relative à la coordination des systèmes de sécurité sociale découle, selon le Conseil, directement des engagements pris par l’Union dans le cadre dudit accord. Selon le Conseil et la Commission, l’exclusion d’un État membre serait en pratique susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’accord bilatéral et irait à l’encontre des obligations de l’Union européenne envers la Suisse.
La Cour de justice accueille les arguments du Conseil, rappelant d’abord que le choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel. La Cour précise que la légalité du choix de la base juridique n’est pas influencée par la conséquence que celui-ci peut avoir quant à l’application ou non du protocole n° 21. A l’inverse, le contexte, le but de la décision et son contenu, ont une influence déterminante. Eu égard au contexte, celui de l’accord bilatérale sur la libre circulation, et au but et au contenu de la décision, à savoir la mise à jour du droit applicable aux ressortissants suisses dans l’Union européenne et aux ressortissants de l’Union en Suisse en remplaçant les références contenues dans l’annexe de l’accord, l’article 48 TFUE pouvait valablement servir de base juridique à l’adoption de la décision attaquée.
Edouard Verté, "Contrôle de la base juridique d’une décision mettant à jour l’accord sur la libre circulation entre l’Union européenne et la Suisse", www.unige.ch/ceje, Actualité du 3 mars 2014.