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La Pologne doit suspendre immédiatement et rétroactivement les effets de la loi réformant la Cour suprême.

Vincenzo Elia , 20 novembre 2018

Le 2 octobre 2018, la Commission européenne a introduit un recours en constatation de manquement (affaire C-619/18) devant la Cour de justice (ci-après « la Cour »), pour que cette dernière puisse s’exprimer sur la nouvelle loi polonaise réformant la Cour suprême.

Cette nouvelle loi polonaise, entrée en vigueur le 3 avril 2018, prévoit d’abaisser à 65 ans l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour suprême. Une prolongation au-delà de ce seuil est possible mais est soumise au respect de deux conditions : 1) la présentation d’une déclaration indiquant le souhait des juges de continuer à exercer leur fonction et d’un certificat attestant que leur état de santé leur permet de siéger ; 2) l’autorisation discrétionnaire du Président de la République de Pologne. Cette dernière constitue un problème notamment par le fait qu’elle ne peut pas faire l'objet d'un contrôle juridictionnel.

Dans l’attente de l’arrêt, la Commission européenne a demandé à la Cour, dans le cadre d’une procédure en référé, d’ordonner à la Pologne de : 1) suspendre l’application des dispositions nationales relatives à l’abaissement de l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour suprême  2) prendre toute mesure nécessaire afin d’assurer que les juges de la Cour suprême concernés par les dispositions litigieuses puissent exercer leur fonction au même poste, tout en jouissant du même statut et des mêmes droits et conditions d’emploi qu’avant l’entrée en vigueur de la loi sur la Cour suprême  3) s’abstenir d’adopter toute mesure visant à la nomination de juges de la Cour suprême à la place des juges de la Cour suprême concernés par ces dispositions, ainsi que de toute mesure visant à nommer le nouveau premier président de la Cour suprême ou à indiquer la personne chargée de diriger la Cour suprême à la place de son premier président jusqu’à la nomination de son nouveau premier président  4) communiquer à la Commission, au plus tard un mois après la notification de l’ordonnance de la Cour, puis chaque mois, toutes les mesures qu’elle aura adoptées afin de se conformer pleinement à cette ordonnance. (voir §1)

La Commission demande également, en vertu de l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure, que la Cour ordonne les mesures provisoires avant même que la partie défenderesse n’ait présenté ses observations, en raison du risque immédiat de préjudice grave et irréparable au regard du principe de protection juridictionnelle effective dans le cadre de l’application du droit de l’Union (voir §2).

Conformément à la jurisprudence de la Cour, de telles mesures provisoires peuvent être accordées par le juge de référé si deux conditions sont respectées : 1) la constatation d’un fumus boni iuris et 2) l’urgence de ces mesures.

En utilisant l'article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure, la vice-présidente de la Cour a rendu une ordonnance urgente. Cette procédure est plus incisive que la procédure ordinaire car elle permet à la Cour de statuer avant l'audience et sans entendre l'État membre défendeur.

Ainsi, la vice-présidente de la Cour analyse les conditions relatives à l'existence d'un fumus boni iuris et à l'urgence des mesures provisoires. Elle considère que la condition relative au fumus boni iuris est remplie (voir §§ 15-17). Quant à la condition relative à l’urgence, la vice-présidente observe que les dispositions nationales litigieuses ont déjà commencé à s’appliquer et ont entrainé la mise à la retraite d’un nombre important de juges de la Cour suprême dont la présidente et deux présidents de chambre. Ce à quoi s'ajoute l’augmentation parallèle, accordée par le Président de la République, du nombre de juges de la Cour suprême, laquelle passe de 93 à 120, ainsi que la publication de plus de 44 postes vacants, ce qui est susceptible d'entraîner une recomposition profonde et immédiate de la Cour suprême.

En effet, si « le recours en manquement est finalement accueilli, il en résulterait que toutes les décisions rendues par la Cour suprême jusqu’à la décision de la Cour sur ledit recours en manquement le seraient sans les garanties liées au droit fondamental de tous les justiciables à accéder à un tribunal indépendant, tel que consacré à l’article 47 de la Charte » (voir §19). Cela, donnerait lieu à un préjudice grave et irréparable (voir §§ 20-21).

Enfin, le recours en manquement de la Commission contre la Pologne est fondé sur les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir §3). En vertu de ces dispositions, le système juridictionnel de l'Union est composé de tribunaux à la fois européens et nationaux. Ces derniers doivent agir dans le respect des droits fondamentaux et doivent être les garantes d'une indépendance totale. Cette dernière est remise en cause par la réforme de la justice polonaise. La Cour a eu l’occasion d’affirmer  dans l’affaire C-64/16 (Associação Sindical dos Juízes Portugueses c. Tribunal de Contas), que l'article 19 TUE, y compris sa référence à l'indépendance, est un paramètre pertinent du réexamen des mesures nationales. Par ailleurs, dans l’affaire C‑216/18 PPU (LM c. Minister for Justice and Equality), la Cour a jugé que la coopération judiciaire en matière pénale avec la Pologne pourrait cesser si le Conseil engageait  la procédure de l'article 7, paragraphe 1, du TUE contre l'État membre. Avec la présente ordonnance du 19 octobre 2018, la Cour, en ordonnant les mesures provisoires demandées par la Commission, donne le ton quant au respect effectif du droit de l’Union européenne par la Pologne.

Vincenzo Elia, "La Pologne doit suspendre immédiatement et rétroactivement les effets de la loi réformant la Cour suprême", actualité du 20 novembre 2018, disponible sur www.ceje.ch