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Prestations sociales des travailleurs migrants au chômage : l’arrêt Jobcenter Krefeld

Elisabet Ruiz Cairó , 3 novembre 2020

Dans son arrêt de grande chambre Jobcenter Krefeld du 6 octobre 2020, la Cour de justice précise la portée du droit à l’égalité de traitement prévu dans le règlement n° 492/2011 sur la libre circulation des travailleurs. Cet arrêt étend le droit aux prestations sociales en vertu dudit règlement aux travailleurs migrants au chômage lorsqu’ils ont des enfants à charge.

L’affaire concerne un ressortissant polonais et ses enfants mineurs qui résident en Allemagne et souhaitent recevoir des prestations visant à assurer leur subsistance. Le ressortissant polonais a exercé plusieurs activités salariées en Allemagne mais a ensuite perdu sa qualité de travailleur.

Rappelant sa jurisprudence en matière de droit de séjour des membres de la famille d’un citoyen de l’Union, la Cour réaffirme que les enfants de travailleurs migrants qui poursuivent des études dans l’Etat membre d’accueil ont un droit de séjour autonome de celui de leurs parents conformément à l’article 10 du règlement no 492/2011. La perte de la qualité de travailleur du parent migrant n’empêche pas ses enfants de conserver un droit de séjour. La reconnaissance d’un tel droit de séjour propre aux enfants permet de reconnaître un droit de séjour correspondant en faveur du parent assurant la garde des enfants (voir, en ce sens, arrêt Baumbast, pts 63 et 75, arrêt Teixeira, pt 36, arrêt Jobcenter Krefeld, pt 35). Un ressortissant d’un État membre qui a perdu la qualité de travailleur peut, en vertu de l’article 10 du règlement n° 492/2011, bénéficier d’un droit de séjour dérivé de celui des enfants dont il assure la garde sans qu’il soit tenu de satisfaire aux conditions définies par la directive 2004/38 sur les droits des citoyens de l’Union en matière de ressources suffisantes et d’assurance maladie.

L’arrêt sous examen va plus loin que la jurisprudence susmentionnée car il reconnaît le droit aux prestations sociales pour les enfants ayant un droit de séjour en vertu de l’article 10 du règlement n° 492/2011 ainsi que pour le parent qui en assure la garde. En effet, l’article 7, paragraphe 2, du règlement reconnait une égalité de traitement en matière d’avantages sociaux et fiscaux.  Si la notion d’avantages sociaux et fiscaux profite principalement aux travailleurs actifs, cette disposition englobe aussi les travailleurs qui sont « tombés[s] au chômage » dans l’État membre d’accueil. L’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 doit être lu en combinaison avec l’article 10 de ce même règlement. Une telle interprétation de l’article 7, paragraphe 2, « contribue à la réalisation de l’objectif poursuivi par ce règlement, qui consiste à favoriser la libre circulation des travailleurs, dans la mesure où elle permet de créer des conditions optimales pour l’intégration des membres de la famille des citoyens de l’Union qui ont fait usage de cette liberté et ont exercé une activité professionnelle dans l’État membre d’accueil » (pt 51).

Cela étant, la Cour de justice précise également le rapport entre le règlement n° 492/2011 et la directive 2004/38. L’article 24, paragraphe 1, de la directive établit un principe général d’égalité de traitement pour tous les citoyens de l’Union qui bénéficient d’un droit de séjour dans un autre État membre en vertu de la directive. L’article 24, paragraphe 2, constitue une dérogation à ce principe général et autorise les États membres, sous certaines conditions, à ne pas accorder le droit à une prestation d'assistance sociale. En tant que dérogation, cette disposition doit être interprétée de manière stricte. En particulier, la Cour affirme que la dérogation au principe d’égalité de traitement ne s’applique pas lorsque le citoyen de l’Union tire son droit de séjour du règlement n° 492/2011 et non pas de la directive 2004/38 (pts 60-65). Dans le cas d’espèce, comme le ressortissant polonais peut se prévaloir d’un droit de séjour sur la base de l’article 10 du règlement n° 492/2011, la Cour conclut que la dérogation de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 ne trouve pas à s’appliquer (pt 69).

La conclusion de la Cour est intéressante puisque l’intéressé pourrait également fonder son droit de séjour sur la directive 2004/38. La Cour admet que le ressortissant polonais pourrait bénéficier d’un droit de séjour fondé sur l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive en tant que citoyen de l’Union qui cherche un emploi dans l’État membre d’accueil. Toutefois, la Cour affirme que la dérogation de l’article 24, paragraphe 2, de la directive ne s’applique que lorsque le droit de séjour du citoyen de l’Union peut uniquement être fondé sur la directive 2004/38. Le droit de séjour du ressortissant polonais pouvant être fondé aussi bien sur le règlement que sur la directive, la Cour exclut l’application de la dérogation de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 (pt 71).

L’arrêt Jobcenter Krefeld apporte des précisions sur l’application du règlement n° 492/2011 et la directive 2004/38 et complète la jurisprudence relative au droit de séjour des travailleurs inactifs ayant des enfants à charge en élargissant les droits qui leur sont reconnus.

 

Elisabet Ruiz Cairó, Prestations sociales des travailleurs migrants au chômage : l’arrêt Jobcenter Krefeld, actualité du CEJE nº 38/2020, disponible sur www.ceje.ch.