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Règles nationales limitant l’ouverture de nouvelles pharmacies et liberté d’établissement

Anicée Lay , 13 juin 2010

Dans de nombreux pays, le droit national pose des conditions qui limitent l’implantation des pharmacies. Dans un arrêt du 1er juin 2010, la Cour de justice de l’Union européenne précise comment les restrictions peuvent se combiner avec le principe de la liberté d’établissement (affaires jointes C-570/07 et C-571/07 ).

Deux pharmaciens diplômés souhaitaient ouvrir une nouvelle pharmacie dans la Communauté autonome des Asturies (Espagne). Empêché de réaliser leur projet, ils ont formé un recours contre l’appel à candidatures qui avait été lancé par l’autorité compétente pour délivrer des autorisations d’établissement de nouvelles pharmacies en Asturies. De plus, ils ont attaqué le décret.

Les affaires ont été portées devant les juges de l’Union européenne. Le « Tribunal Superior de Justicia de Asturias » avait des doutes sur la compatibilité de certaines dispositions du décret avec le principe de la liberté d’établissement, inscrit à l’article 49 du traité FUE.

Le décret asturien règlemente les pharmacies et les services de pharmacie dans cette région. Il limite le nombre de pharmacies en fonction de la population et autorise une pharmacie par tranche de 2 800 habitants. Le décret interdit l’ouverture d’une pharmacie à une distance inférieure à 250 mètres de toute autre pharmacie. Il fixe aussi les critères pour l’octroi des autorisations d’implantation. En principe, les critères sont fondés sur l’expérience professionnelle et universitaire des candidats. Cependant, « ni l’expérience professionnelle en tant que pharmacien titulaire ou cotitulaire d’une pharmacie ni aucune autre catégorie de mérites ne sont prises en considération lorsque l’une ou l’autre ont servi précédemment pour obtenir une autorisation ». Les mérites professionnels obtenus en exerçant la profession sur le territoire de la principauté des Asturies sont majorés de 20 %. « En cas d’égalité résultant de l’application du barème, les autorisations sont accordées selon l’ordre de priorité suivant : a) les pharmaciens qui n’ont pas été titulaires d’officines de pharmacies ; b) les pharmaciens qui ont été titulaires d’officines de pharmacie dans des zones de pharmacie ou des municipalités dont la population est inférieure 2 800 habitants ; c) les pharmaciens qui ont exercé leur activité professionnelle dans la principauté des Asturies. »

Pour l’avocat général, M.M. Poiares Maduro, la Cour doit, tout en s’en remettant au jugement des Etats membres dans le domaine de la protection de la santé humaine qui revêt une importance capitale, « remédier à des situations dans lesquelles des processus politiques locaux ont été détournés pour assurer des avantages lucratif à des opérateurs locaux établis au détriment, notamment, de ressortissants d’autres Etats membres ».

Dans un premier temps, la Cour de justice constate la recevabilité de l’affaire malgré l’absence d’éléments transfrontaliers. Il ne peut pas être exclu que des ressortissants d’autres Etats membres veuillent exploiter une pharmacie dans la Communauté autonome des Asturies. Dans un deuxième temps, la Cour procède à un examen systématique et détaillé des conditions posées par le décret.

Les conditions, liées à la densité démographique et à la distance minimale entre les pharmacies, constituent une restriction à la liberté d’établissement. Toutefois, la Cour estime en application de sa jurisprudence constante que cette restriction peut être justifiée lorsqu’elle répond à quatre conditions. La mesure en question doit s’appliquer de manière non discriminatoire, elle doit être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, elle doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et elle ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. La Cour affirme que les conditions liées à la densité démographique et à la distance minimale entre les pharmacies s’appliquent sans être discriminatoires. L’objectif de ces restrictions consiste à assurer un approvisionnement en médicaments « sûr et de qualité ». Il s’agit ici d’une raison impérieuse d’intérêt général. Ainsi, la Cour se concentre sur la question de savoir si le décret est propre à garantir l’objectif en question. Selon elle, il serait possible, en l’absence de toute régulation, que les pharmaciens se concentrent dans les localités jugées attractives. D’autres régions seraient par conséquent défavorisées et souffriraient d’un nombre insuffisant de pharmacies. Elle admet que les conditions énoncées dans le décret sont susceptibles de limiter de telles concentrations. Cependant, la Cour examine si le décret poursuit de manière cohérente et systématique l’objectif visant à assurer un approvisionnement en médicaments de la population « sûr et de qualité ». Elle constate que « l’application uniforme des conditions ainsi conçues risque de ne pas assurer un accès approprié au service pharmaceutique dans des zones qui présentent certaines particularités démographiques ». La Cour rappelle que le décret exécute la législation nationale qui prévoit des mesures d’ajustement. En conséquence, la réglementation est, en principe, propre à réaliser le but poursuivi. La juridiction de renvoi devra pourtant examiner si les autorités compétentes font un usage de l’habilitation offerte par la législation nationale dans toute zone géographique ayant des caractéristiques démographiques particulières. Finalement, la réglementation ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi et l’article 49 du traité FUE ne s’oppose pas, en principe, aux restrictions en question.

En ce qui concerne les critères de sélection de titulaires de nouvelles pharmacies, la Cour estime que certains d’entre eux sont plus faciles à respecter pour les pharmaciens nationaux. Ainsi, deux critères revêtent un caractère discriminatoire. L’article 49 du traité FUE s’oppose à la majoration de 20 % des mérites professionnels obtenus sur le territoire de la Communauté autonome et à la priorité donnée aux pharmaciens qui ont exercé leur activité professionnelle en Asturies.

L’arrêt de la Cour s’inscrit dans jurisprudence établie. Néanmoins, il ne semble pas très convainquant de restreindre la liberté d’établissement et de créer une position de monopole des pharmacies afin d’assurer la « qualité » des services. L’idée de la concurrence transformant « des saints en pêcheurs » ne nous persuade pas.


Reproduction autorisée avec indication : Anicée Lay, "Règles nationales limitant l’ouverture de nouvelles pharmacies et liberté d’établissement", www.ceje.ch, actualité du 13 juin 2010.