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Limitation du nombre d’étudiants non résidents accédant au système d’enseignement supérieur

Mihaela Nicola , 26 avril 2010

La jurisprudence de la Cour de justice relative aux restrictions imposées par les Etats membres à la libre circulation des étudiants s’enrichit d’un arrêt rendu, le 13 avril 2010, en grande chambre (aff. C-73/08) : un Etat membre de l’Union européenne est-il autorisé à limiter le nombre des inscriptions d’étudiants non résidents sur son territoire, lorsque l’afflux des étudiants étrangers risque de peser excessivement sur les finances publiques de cet Etat et de porter atteinte à la qualité de l’enseignement dispensé ?

Le litige au principal a pour origine le recours en annulation introduit par des enseignants belges et des étudiants, notamment de nationalité française, contre le décret de la Communauté française de Belgique régulant le nombre d’étudiants dans certains cursus de premier cycle de l’enseignement supérieur. Selon les dispositions dudit décret, seuls les étudiants résidents en Belgique jouissent d’un accès libre à l’un des neuf cursus médicaux et paramédicaux visé par ce décret. En revanche, les étudiants non-résidents ne bénéficient, en principe, que d’un accès limité à un seuil de 30% de l’ensemble des inscrits de l’année académique précédente. Dans le cade de ce pourcentage, les inscriptions sont acceptées en fonction de l’ordre de présentation. Lorsque le seuil de 30% est atteint dans les trois premiers jours ouverts aux inscriptions, l’ordre de priorité entre les étudiants non-résidents est déterminé par un tirage au sort.

La Cour Constitutionnelle belge pose une question préjudicielle à la Cour de justice en vue de savoir si la différence de régime entre les étudiants résidents et ceux non résidents en Belgique porte atteinte aux principes de la libre circulation des personnes et de non discrimination prévus aux articles 12 et 18 CE (devenus respectivement articles 18 et 21 FUE). Le raisonnement à suivre pour trancher cette question est quant à lui bien connu. Il repose en premier lieu sur l’examen d’une inégalité de traitement prohibée par l’article 18 FUE. Si une inégalité est constatée, il convient ensuite d’analyser si la mesure nationale peut être justifiée par un objectif légitime.

Avant d’examiner ces deux points, la Cour de justice observe, à titre liminaire, que l’organisation du système d’enseignement relève de la compétence des Etats membres, tel qu’il résulte des articles 165, paragraphe 1 et 166, paragraphe 1, FUE. Cependant, les Etats membres doivent veiller dans la mise en place de leur système d’enseignement au respect du droit de l’Union européenne, notamment des articles 18 et 21 FUE. Comme la Cour de justice le souligne, l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38 pourrait également entrer en ligne de compte. Néanmoins, à défaut d’éléments suffisants permettant à la Cour de justice d’établir avec certitude si cette dernière disposition régit la situation des requérants, il incombe au juge de renvoi de statuer sur l’application concrète de cette disposition.

S’agissant du respect du principe de non-discrimination, la Cour de justice constate que la condition de résidence prévue par le décret de la Communauté française est plus aisément remplie par les ressortissants belges que par les ressortissants étrangers, dont la résidence est située, en règle générale, dans l’Etat d’origine. Selon la jurisprudence constante de la Cour de justice, une réglementation nationale, telle que celle en l’espèce, susceptible d’affecter davantage les ressortissants des autres Etats membres que ceux nationaux, constitue une discrimination indirecte, prohibée par l’article 18 FUE (arrêt Österreischischer Gewerkschaftsbund, aff. C-195/98, point 40 ; arrêt Hartmann, aff. C-212/05, point 30).

Quant à l’examen du régime de cette discrimination, la Cour de justice établit que celle-ci peut être justifiée par un objectif légitime, au sens de sa jurisprudence, à condition que la réglementation en cause soit propre à garantir l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour que cet objectif soit atteint (arrêt Renneberg, aff. C-572/06, point 81 ; arrêt Apothekerkammer des Saarlandes e.a., aff. jtes C-171/07 et C-172/07, point 25).

Le gouvernement belge, soutenu par le gouvernement autrichien, avait présenté dans ses observations des justifications tirées des charges excessives pour le financement de l’enseignement supérieur national et des risques à l’homogénéité et à la qualité du système éducatif, ainsi que des motifs liés à la protection de la santé publique.

La Cour de justice, quant à elle, considère que la crainte d’une charge financière ne saurait justifier une inégalité de traitement entre les ressortissants nationaux et étrangers car ce motif n’a pas conduit, tel que cela résulte du dossier de l’affaire, à l’adoption du décret belge. En outre, les justifications invoquées liées à la prévention des risques pour la qualité de l’enseignement supérieur et pour son homogénéité coïncident avec ceux liés à la protection de la santé publique. Dès lors, il convient pour la Cour de justice d’analyser uniquement la justification visant à maintenir un niveau élevé de protection de la santé publique.

Dans le cadre de son analyse, la Cour de justice relève un certain nombre d’éléments pertinents permettant au juge national, qui est le seul compétent pour interpréter la législation nationale, de considérer si la réglementation belge est justifiée ou non.

Celui-ci, dans un premier temps, doit vérifier si l’organisation d’un régime de libre accès à l’enseignement supérieur présente des risques effectifs pour la protection de la santé publique. L’appréciation de tels risques devra être faite à la lumière de la situation actuelle ainsi que dans la considération de l’évolution future du domaine de la santé publique. Dans ce contexte, il conviendra d’évaluer notamment, pour chacun de neuf cursus visés par le décret, le nombre maximal d’étudiants qui peuvent être formés dans le respect de la qualité de la formation et le nombre de diplômés apte à assurer une disponibilité du service de santé publique sur le territoire de la Communauté française.

Dans un deuxième temps, le juge national devra analyser l’aptitude de la réglementation nationale à garantir l’objectif de la protection de la santé publique. A cet égard, il devra vérifier si la limitation du nombre des étudiants non-résidents est véritablement susceptible d’assurer la disponibilité du service de santé au sein de la Communauté française.

Enfin, le juge national devra fonder son appréciation sur l’analyse de la proportionnalité de la mesure instituée par le décret en cause. Dans le cadre de cette analyse, il conviendra de vérifier si l’objectif de la protection de la santé publique ne pourrait pas être atteint par des mesures moins restrictives, telles que celles visant à encourager les étudiants accomplissant leurs études dans la Communauté française à s’y installer après leur formation ou à favoriser l’accueil dans la Communauté française des professionnels formés à l’étranger.

Dans cet arrêt, la Cour de justice contrôle le respect par les Etats membres des principes consacrés par le droit de l’Union européenne et laisse au juge national l’appréciation concrète de la situation et de la justification invoquée par le gouvernement belge.


Reproduction autorisée avec indication : Mihaela Nicola, "Limitation du nombre d’étudiants non résidents accédant au système d’enseignement supérieur", www.ceje.ch, actualité du 26 avril 2010.