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L’amende peut-elle remplacer l’expulsion en cas de séjour illégal d’un migrant dans l’Espace Schengen ?

Silvia Gastaldi , 24 juin 2009

Le 19 mai 2009, l’avocat général Kokott a rendu des conclusions dans l’affaire Zurita García (aff. jtes C-261/08 et C-348/08) qui concerne l’expulsion de deux ressortissants boliviens qui séjournaient en Espagne sans autorisation de séjour en violation de la Convention d’application de Schengen de 1990 (ci-après CAAS) et du règlement n°562/2006, le « code frontières Schengen » qui la remplace sur ce point depuis le 13 octobre 2006.

Suite à un contrôle d’identité effectué sur deux personnes de nationalité bolivienne en septembre 2006, respectivement en mai 2007, les autorités espagnoles ont constaté que ces personnes ne remplissaient plus les conditions de séjour en Espagne au sens de la Convention et ont ordonné leur expulsion du territoire espagnol. Elles ont également décidé d’interdire leur entrée dans l’Espace Schengen pour une durée de 5 ans. Ces deux ressortissants boliviens ont fait recours contre cette décision, invoquant notamment une loi espagnole permettant aux autorités de remplacer une mesure d’expulsion par une amende lorsqu’une personne ressortissante d’un pays tiers se trouve en situation irrégulière sur le territoire espagnol.

L’autorité de recours, qui statue en dernier ressort, a décidé de poser une question préjudicielle à la Cour de justice au sens des articles 234 CE et 68 CE afin de déterminer si la législation espagnole qui permet d’infliger des amendes avant de procéder à une expulsion est conforme à l’article 11 du règlement n°562/2006, lequel remplace l’article 6ter CAAS, et à l’article 23 CAAS, ou si, au contraire, ces dispositions imposent obligatoirement aux Etats membres d’expulser les ressortissants d’Etats tiers en situation irrégulière, notamment lorsqu’ils sont entrés sur le territoire sans visa et sans faire aucune demande de permis de séjour.

Dans ses conclusions, l’avocat général Kokott aborde cette problématique en deux temps. Elle analyse tout d’abord le contenu de l’article 11 du code frontières Schengen et de l’article 6ter de la CAAS, afin de déterminer s’ils prescrivent une obligation d’expulsion suite à un séjour illégal. Subsidiairement, elle vérifie s’il y a lieu d’interpréter l’article 23 de la CAAS comme imposant aux Etats parties une obligation du même ordre. Dans sa version espagnole, l’article 11 du code frontières semble imposer une obligation d’expulsion dans la mesure où il prévoit que le ressortissant d’un Etat tiers « est expulsé » s’il ne peut renverser la présomption qui établit qu’en l’absence de cachet d’entrée sur ses documents de voyages, l’intéressé ne réalise pas ou plus les conditions du séjour de trois mois. Toutefois, en examinant les termes des autres versions linguistiques de l’article 11 du code frontières, ainsi que de l’article 6 ter de la CAAS, l’avocat général conclut à une erreur de traduction dans la version espagnole du code frontières et considère que l’expulsion demeure une simple faculté des Etats membres. En effet, dans toutes les autres versions linguistiques, il est prévu que les autorités compétentes « peuvent » expulser les ressortissants de pays tiers si la présomption liée aux cachets n’est pas renversée.

Le deuxième point examiné par l’avocat général vise à déterminer s’il peut être déduit une obligation d’expulsion de l’article 23 CAAS, comme le suggère l’Autriche qui est intervenue dans la procédure. Aux termes de cette disposition, le ressortissant d’un Etat tiers qui ne remplit pas ou plus les conditions de court séjour « doit » en principe quitter sans délai le territoire des parties contractantes (l’Espace Schengen) et, en vertu du paragraphe 3, lorsque le départ de l’étranger ne se fait pas sur base volontaire, l’étranger « doit être éloigné » du territoire de l’Etat partie où il a été appréhendé, dans les conditions prévues par le droit national de cet Etat.

L’avocat général estime que l’article 23 CAAS ne peut en aucun cas imposer une obligation d’expulsion, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, il résulte de cette disposition que l’expulsion constitue l’exception, le départ volontaire étant la règle. En second lieu, l’article 23, paragraphe 3, CAAS ne peut constituer à lui seul un fondement juridique à l’expulsion car il fait référence au droit national qui est libre de prévoir des exceptions. Enfin, l’avocat général s’appuie sur le texte de la récente directive 2008/115 qui reconnaît explicitement la possibilité de mettre en œuvre des mesures plus favorables que l’expulsion en cas de non respect des conditions de séjour. Cette directive relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier vise à remplacer l’article 23 CAAS ; elle entrée en vigueur le 13 janvier 2009 et son délai de transposition est fixé au 24 décembre 2010.

Sur la base de ces éléments, l’avocat général conclut que le régime espagnol qui permet d’infliger des amendes, en lieu et place d’une expulsion, n’est pas contraire à l’esprit de Schengen car le système ne tolère pas le séjour illégal mais laisse à l’intéressé une durée de 15 jours pour quitter le territoire Schengen. D’ailleurs, en cas de non exécution du départ, une nouvelle procédure peut être déclenchée par les autorités espagnoles en vue de l’expulsion.

La Cour de justice aura prochainement à se prononcer sur la conformité du régime espagnol des amendes avec le système Schengen. Ce système tient compte du principe de proportionnalité et, en cas de départ volontaire, pourrait même permettre d’éviter un signalement dans la base de données SIS (système d’information Schengen) au sens des articles 92ss. CAAS. L’arrêt de la Cour permettra en tout cas de clarifier les obligations des Etats membres dont les décisions d’expulsion de ressortissants d’Etats tiers ont effet sur l’ensemble du territoire de l’Espace Schengen. Si les pratiques des Etats membres ne tendent pas toujours vers une grande protection des migrants en situation irrégulière, l’arrêt de la Cour de justice, s’il suit les conclusions de l’avocat général, permettrait le maintien de pratiques plus favorables dans certains Etats membres.


Reproduction autorisée avec indication : Silvia Gastaldi, "L’amende peut-elle remplacer l’expulsion en cas de séjour illégal d’un migrant dans l’Espace Schengen ?", www.ceje.ch, actualité du 24 juin 2009.