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Violation de la liberté d’établissement dans le cadre de la reprivatisation indirecte des transports aériens portugais

Clara A. A. Rayo , 10 avril 2019

L’arrêt C-563/17 Associaçao Peço a Palavara e.a, rendu le 27 février 2019, concerne la validité d’une décision du Conseil des ministres portugais fixant certaines conditions qui s’appliquent à la procédure de reprivatisation indirecte des Transports aériens portugais (ci-après : TAP).

L’Associaçao Peço a Palvara e.a., ainsi que quatre autres personnes de nationalité portugaise (ci-après, ensemble : APP) avaient introduit un recours devant le Tribunal administratif fédéral portugais tendant à l’annulation de ladite décision. Cette dernière régissait la vente directe des actions à hauteur de 61 % du capital social de TAP SGPS. A l’issue de la reprivatisation, l’actionnaire possédait une influence considérable sur la gestion et le contrôle de la société, mais également sur la filiale TAP.  Après la redéfinition de l’actionnariat de TAP SGPS, cette participation a été réduite à 45 %, car l’Etat portugais avait racheté les actions nécessaires à l’augmentation de sa participation de 34 % à 50 %. Les 5 % restants sont détenus par les salariés du groupe TAP.

APP soutenait que le Conseil des ministres avait violé les articles 49 et 54 TFUE en exigeant le maintien du siège et de la direction effective du groupe TAP au Portugal. Il aurait également violé les articles 56 et 57 TFUE, ainsi que les articles 16 et 17 de la directive 2006/123 en obligeant l’acheteur des actions à se conformer à des obligations de service public et en exigeant le maintien et le développement du centre opérationnel (hub) national existant. 

En premier lieu, le juge portugais a posé une question préjudicielle sur la comptabilité des critères inscrits dans le cahier des charges en vue de la reprivatisation de l’entreprise publique avec les libertés fondamentales du traité TFUE. Ayant cédé sa participation, TAP soutenait le fait que l’acquéreur potentiel de la participation ne devait pas nécessairement remplir l’intégralité des critères énoncés. Face à ces considérations, la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé qu’elle ne pouvait interpréter, en vertu de l’article 267 TFUE, que les dispositions du droit de l’Union européenne et qu’il appartenait à la seule juridiction nationale d’interpréter le droit national (point 36). Néanmoins, la Cour de justice a estimé que les critères sont de nature à s’imposer à l’acquéreur. Par conséquent, ce dernier doit respecter l’ensemble des obligations découlant de ces critères (point 38).

La deuxième question consistait à savoir si le critère du maintien du siège et de la direction effective dans l’Etat membre concerné, au Portugal, restreignait une liberté fondamentale (point 40). La Cour de justice a relevé que les obligations découlant du cahier des charges prévoyaient des mesures qui ne se rattachaient pas à un domaine harmonisé par le règlement n°1008/2008. Par conséquent, les obligations devaient être appréciées au regard du droit primaire de l’Union européenne, plus précisément, au regard des libertés fondamentales du traité FUE, et non pas au regard des règles d’harmonisation. Pour la Cour, le fait que l’acquéreur soit obligé de maintenir le siège et la direction effective au Portugal constituait une restriction à la liberté d’établissement. Cette dernière est interdite par l’article 49 TFUE (point 54). Compte tenu de ce qui précède et conformément aux articles 49 et 54 TFUE, l’obligation du maintien du siège et de la direction effective de l’Etat membre concerné constitue une restriction à la liberté d’établissement d’une société constituée en conformité avec la législation d’un Etat membre, soit, en l’occurrence, avec la législation portugaise (point 62).

Troisièmement, la Cour a vérifié si les restrictions à la liberté d’établissement sont justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général, ce qui exige qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif recherché et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (point 63). La raison impérieuse d’intérêt général énoncée dans le cahier des charges consiste à garantir le caractère suffisant des services réguliers de transport aérien à destination et en provenance des pays tiers lusophones, avec lesquels le Portugal entretient des liens historiques, culturels et sociaux particuliers (point 73 et ss). Il découle des accords entre le Portugal et les pays tiers lusophones que TAP aurait perdu ses droits de trafic sur des lignes à destination ou en provenance de ces pays tiers en cas de transfert de son principal établissement en dehors du Portugal (point 76). La Cour a constaté que cette exigence ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire au regard de ladite raison impérieuse d’intérêt général. Notons également que la proportionnalité de l’exigence du maintien du siège et de la direction effective au Portugal au regard de cette raison impérieuse d’intérêt général est corroborée par le fait que cette raison ne s’oppose pas à ce que TAP crée des établissements secondaires en dehors du pays.  

L’exigence du maintien et du développement du Centre opérationnel (hub) national existant (ci-après : le Centre) est justifiée au regard de l’objectif consistant à assurer le service d’intérêt général. Ce dernier vise à garantir le caractère suffisant des services réguliers de transport aérien à destination et en provenance des pays tiers lusophones concernés. Toutefois, il n’est pas établi que le Centresoit nécessaire pour atteindre l’objectif de connectivité aérienne des pays tiers lusophones concernés. Cet objectif pourrait être atteint avec un autre modèle organisationnel. De plus, force est de constater que ce modèle s’applique pour toutes les liaisons aériennes et non seulement pour celles en provenance ou à destination des pays tiers lusophones (point 81).

Compte tenu de ce qui précède, la Cour de justice a considéré que l’article 49 TFUE devait être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que dans le cahier des charges de l’entreprise soit incluses notamment l’exigence à l’acquéreur de la participation de disposer de la capacité de garantir l’exécution des obligations de service public incombant à la société, ni d’avoir une exigence imposant audit acquéreur de maintenir le siège et la direction effective de ladite société dans l’Etat membre concerné. Toutefois, la Cour a jugé que l’article 49 TFUE devait être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, dans le cahier des charges, figure l’exigence pour l’acquéreur d’assurer le maintien et le développement du Centre.

 

Clara Rayo, « Violation de la liberté d’établissement dans le cadre de la reprivatisation indirecte des transports aériens portugais », actualité du 8 avril 2019, www.ceje.ch