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Indépendance et impartialité d’un juge nommé sous un régime non démocratique

Maddalen Martin-Arteche , 13 avril 2022

Dans son arrêt du 29 mars 2022, la Cour de justice, réunie en grande chambre, s’est prononcée sur la conformité de la nomination de trois juges d’appel polonais avec les exigences d’indépendance et d’impartialité qui constituent une garantie pour l’exercice du droit à une protection juridictionnelle effective garanti par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union ainsi que l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. L’un des juges concernés a commencé sa carrière sous le régime communiste qu’a connu la Pologne avant les changements politiques de 1989. Les deux autres ont été nommés à une époque où, selon la Cour constitutionnelle polonaise, le Conseil national de la magistrature, qui a participé à leur nomination, ne fonctionnait pas de manière transparente et sa composition était contraire à la Constitution polonaise.

La Cour de justice a examiné les observations du Médiateur polonais quant à la recevabilité des questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi. Il était question de savoir si le juge polonais siégeant en tant que juge unique à la Cour suprême polonaise remplit les exigences auxquelles doit répondre un organe pour être qualifié de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE, d’une part, et si le juge remplit les conditions d’indépendance et d’impartialité de l’article 267 TFUE, d’autre part. La composition concrète de la juridiction de renvoi, pour autant que la demande de décision préjudicielle émane d’une juridiction nationale, n’est pas apte, selon la Cour de justice, à remettre en question sa qualité de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE. Faute d’éléments de preuve portant atteinte à l’indépendance et l’impartialité de la juridiction de renvoi, la Cour de justice a déclaré recevables les questions préjudicielles.

S’agissant du fond des questions préjudicielles, la Cour de justice a examiné, en premier lieu, la nomination du juge d’appel ayant commencé sa carrière sous le régime communiste polonais. La Cour de justice a rappelé sa jurisprudence relative à la garantie d’indépendance et d’impartialité des tribunaux en droit de l’Union (voir Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a., C-748/19, point 67 ainsi que jurisprudence citée). Elle a conclu que la nomination du juge à une époque où la Pologne ne constituait pas un régime démocratique ne remet pas en cause l’indépendance ni l’impartialité de celui-ci lors de l’exercice de ses fonctions juridictionnelles ultérieures. Par ailleurs, la Cour de justice a constaté que la juridiction de renvoi n’a pas produit d’indices de nature à susciter des doutes à l’égard de l’indépendance dudit juge. En deuxième lieu, la Cour de justice a tranché les questions relatives aux deux autres juges d’appel. La Cour de justice a rappelé que la Cour constitutionnelle polonaise ne s’est pas prononcée sur l’indépendance du Conseil national de la magistrature, qui a participé à la nomination desdits juges, lorsqu’elle a déclaré, en 2017, que la composition du Conseil national de la magistrature, telle qu’elle se présentait à l’époque de la nomination des deux juges en question, était contraire à la Constitution polonaise. La Cour de justice a conclu que cette incompatibilité ne suffit pas pour remettre en cause l’indépendance et l’impartialité du Conseil national de la magistrature telle qu’il était composé à l’époque ni, par conséquent, l’indépendance des deux juges en cause. Il n’existe pas, selon la Cour de justice, d’éléments concrets démontrant un manque d’indépendance ni du Conseil national de la magistrature ni des juges d’appel. La nomination des trois juges d’appel polonais n’est donc pas contraire aux exigences d’indépendance et d’impartialité de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de l’article 47 de la Charte et de l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13.

Deux aspects de la décision de la Cour de justice sont à noter. D’une part, il ressort de celle-ci que les incertitudes relatives à l’indépendance des organes chargés de veiller au bon fonctionnement du pouvoir judiciaire national, tel que le Conseil national de la magistrature polonais, ne sont pas aptes à susciter des doutes sérieux concernant l’indépendance des juges faisant partie de ce pouvoir. La démonstration de l’absence d’indépendance d’un juge requiert, par contre, un niveau probatoire élevé. D’autre part, même intégrés dans un pouvoir judiciaire dont la conformité à l’État de droit est mise en question, les juges sont considérés aptes à agir de manière indépendante et donc à garantir le droit à une protection juridictionnelle effective.

Maddalen Martin, Indépendance et impartialité d’un juge nommé sous un régime non démocratique, actualité du CEJE n° 11/2022, 13 avril 2022, disponible sur www.ceje.ch