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Donner cours en Suisse doit être fiscalement aussi avantageux que dans l’UE ou l’EEE

Margaux Bierme , 26 septembre 2016

Dans un arrêt du 21 septembre 2016 (aff. C-478/15), la Cour de justice a été amenée à interpréter l’accord sur la libre circulation des personnes (ci-après « ALCP ») à l’occasion d’une demande de décision préjudicielle formulée par le tribunal des finances du Bade-Wurtemberg (Allemagne). Un différend opposait M. Radgen à l’administration fiscale d’Ettlingen.

Monsieur Radgen, ressortissant et résidant allemand, a, au cours de l’année 2009, exercé une activité d’enseignement à titre accessoire dans un établissement de droit public en Suisse. Le montant perçu pour cette activité avait été soumis à l’impôt sur le revenu. M. Radgen contestait l’avis d’imposition rendu par l’administration fiscale, considérant qu’une telle situation, à savoir l’absence d’exonération pour ce montant, constituait une entrave à l’accord sur la libre circulation des personnes. Le recours porté par M. Radgen devant le tribunal des finances du Bade-Wurtemberg a conduit ce dernier à poser une question préjudicielle à la Cour de justice. En substance, il s’agissait de savoir si certaines dispositions de l’ALCP s’opposaient à une législation d’un Etat membre qui n’accorde pas le bénéfice de l’exonération d’impôt afférente au revenu provenant de cette activité salariée accessoire, alors qu’une telle exonération aurait été octroyée si ladite activité avait eu lieu dans un Etat membre de l’Union européenne ou un Etat de l’EEE.  

Plus précisément, les dispositions devant être interprétées sont celles relatives à l’égalité de traitement des travailleurs salariés. En effet, l’objet de l’ALCP est de réaliser la libre circulation des personnes. Cela suppose notamment que soient garantis le droit d’accès à une activité économique et, dans l’exercice de celui-ci, l’application du principe de non-discrimination en raison de la nationalité. L’article 9 de l’ALCP prévoit, entre autres, l’égalité de traitement et plus particulièrement le respect de celle-ci en matière fiscale. Il s’agit de permettre aux travailleurs salariés de bénéficier des mêmes avantages fiscaux et sociaux que ceux dont disposent les travailleurs salariés nationaux (pt 40).

Dans ce contexte, M. Radgen, en exerçant une activité salariée en Suisse, et non dans un Etat membre de l’Union ou dans un Etat de l’EEE, a-t-il subi un désavantage fiscal ? La Cour constate que la législation allemande « induit une différence de traitement fiscal entre les contribuables résidents allemands en fonction de l’origine de leurs revenus » (pt 43). En effet, M. Radgen, ressortissant résident allemand qui dispense un cours à Zurich, ne bénéficie pas de l’exonération d’impôt sur le revenu provenant de cette activité, alors que cela aurait été le cas s’il avait donné son cours dans un Etat membre de l’UE ou de l’EEE. Partant, cela constitue une inégalité de traitement. En outre, il est possible que les contribuables résidents allemands soient dissuadés d’exercer leur droit à la libre circulation en accomplissant une activité salariée d’enseignement en Suisse (pt 44).

Dans l’appréciation d’une situation en matière d’inégalité de traitement, il y a lieu de distinguer deux hypothèses. Dans la première, l’application d’un traitement différencié, en matière fiscale, à deux contribuables est permise, s’ils ne se trouvent pas dans une situation comparable. Dans la seconde, si deux contribuables se trouvent dans une situation comparable, une différence de traitement peut être justifiée « par des raisons impérieuses d’intérêt général » (pt 46). En l’espèce, il y a lieu de rattacher la situation de M. Radgen à la seconde hypothèse.

La Cour de justice applique alors la même approche que celle développée dans l’arrêt Jundt (aff. C-281/06), lequel s’inscrivait dans un contexte similaire, et conclut à l’absence d’une justification fondée sur une raison impérieuse d’intérêt général permettant une différence de traitement. Elle édicte par ailleurs que la législation nationale a pour conséquence d’ « affecte[r] le choix des enseignants exerçant leur activité à titre accessoire quant au lieu de leurs prestations de services » (pt 54). Les conclusions auxquelles arrive la Cour de justice sont jugées applicables au cas d’espèce, nonobstant le fait que l’arrêt Jundt concernait un indépendant, et non un travailleur salarié. En tout état de cause, la législation fiscale allemande, en refusant d’octroyer « une exonération aux contribuables résidents ayant fait usage de leur droit à la libre circulation en exerçant à titre accessoire une activité salariée d’enseignement au service d’une personne morale établie sur le territoire suisse, en raison du lieu de l’exercice de cette activité, établit une inégalité de traitement non justifiée et contraire à l’article 9, paragraphe 2, de [l’ALCP] » (pt 56).

Il convient d’observer que cet arrêt est l’occasion de rappeler que la réalisation des objectifs de l’ALCP s’appuie sur les dispositions applicables dans l’Union européenne, « dont les notions doivent être interprétées conformément à la jurisprudence de la Cour » (pt 36). En l’espèce, c’est la notion du principe d’égalité de traitement qui fait l’objet de l’interprétation de la Cour et qui permet à celle-ci de préciser les contours de celui-ci d’un point de vue fiscal et dans le contexte de l’exercice d’une activité d’enseignement.

Margaux Biermé, « Donner cours en Suisse doit être fiscalement aussi avantageux que dans l’UE ou l’EEE », actualité du 22 septembre 2016, www.ceje.ch