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Relation Suisse-UE : une « fenêtre d’opportunité » étroite

Margaux Bierme , 22 mars 2016

Le jeudi 17 mars dernier, Jacques de Watteville, Secrétaire d’Etat aux questions financières et internationales et négociateur en chef avec l’Union européenne, a donné, au Centre d’études juridiques européennes de l’Université de Genève, une conférence au sujet des « défis actuels de la politique européenne de la Suisse ».

Il s’agissait de faire le point sur la situation actuelle, de présenter les principaux enjeux, auxquels s’ajoute une collision, complexe, de plusieurs paramètres.  Les développements récents, les efforts en cours ainsi que les perspectives ont été également présentés.

En ce qui concerne la voie bilatérale, et plus particulièrement la négociation de l’accord institutionnel, initiée en 2008, quelques pierres d’achoppement se présentent, dont celle relative au mécanisme de règlement des différends. En effet, la réflexion porte, notamment, sur l’importance du rôle du comité mixte et le rôle éventuel de la Cour de justice de l’Union européenne concernant l’interprétation du droit de l’Union repris dans les accords bilatéraux. Si la Suisse admet que le droit de l’Union intégré dans les accords soit interprété par la Cour de justice, la question reste ouverte en ce qui concerne les dispositions sui generis contenues dans les accords qui ne sont, en principe, pas soumises à l’interprétation de la Cour. Une interrogation subsiste quant à la suite que peut prendre un différend persistant au sein du Comité mixte. Pour la Suisse, l’organe-clé est le comité mixte et il ne peut être admis que les juges de la Cour de justice tranchent les questions relatives à l’accord. Elle est seulement habilitée à fournir une interprétation des notions de droit de l’Union.  Or, que faire si un désaccord entre les parties persiste ?

De manière plus globale, l’idée de l’accord institutionnel est de garantir l’accès au marché. A ces discussions s’est ajoutée une nouvelle préoccupation, consécutive à la votation de 2014 sur l’immigration de masse, qui traduit la volonté du peuple suisse d’une meilleure gestion de l’immigration. L’article 121a de la Constitution suisse, accepté suite à cette votation, pose un problème de conformité par rapport aux engagements internationaux. En effet, il implique une renégociation de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ci-après « ALCP ») dans un délai de 3 ans. Si aucune solution n’est trouvée d’ici février 2017, les contingents devraient être mis en place, selon la disposition constitutionnelle, par voie d’ordonnance.

Si les relations Suisse-Union européenne ont été d’abord distantes suite à la votation, des discussions informelles à divers niveaux ont permis, in fine, un échange entre des délégations des deux parties en hiver dernier. Depuis, la situation s’est davantage compliquée en raison de deux éléments : le Brexit éventuel et la question des migrants. L’Union européenne a revu ses priorités qui consistent alors en la préservation de son intégrité. Face au durcissement de l’Union européenne vis-à-vis de la Suisse, la clause de sauvegarde bilatérale contenue à l’article 14, alinéa 2, de l’ALCP, n’était, en l’espèce d’aucun secours pour la Suisse car elle nécessitait un consentement des deux parties à l’accord, ce qui n’était pas envisageable. En parallèle, une action diplomatique a été menée, au cours de laquelle un travail de sensibilisation à l’importance d’obtenir une solution négociée a été fait.   

En effet, si aucune solution consensuelle n’est trouvée, les contingents incompatibles avec l’ALCP devront en principe être introduits, mettant en danger la survie de l’accord en tant que tel, mais aussi celle des autres accords bilatéraux I, vu l’existence de la « clause guillotine » selon laquelle la chute d’un accord entraîne celle des autres. Si le travail de sensibilisation a porté ses fruits en matière de dialogue, la remise en question dont l’Union européenne a fait l’objet, provoquée par l’arrivée de vrais et faux migrants et par la sensibilité du dossier britannique, a mené l’Union à ne pas adoucir sa position vis-à-vis de la Suisse.

La Suisse n’a pu que constater que ce que les britanniques avaient obtenus était probablement bien plus que ce qu’elle pouvait espérer. Bien que la situation de la Suisse et du Royaume-Uni soient très différentes, politiquement, la situation de ce dernier est un indicateur à ne pas négliger pour la Suisse.

La priorité est de trouver une solution négociée avec l’Union pour assurer la sécurité juridique. Le 4 mars dernier, le Conseil fédéral a annoncé la mise en place d’une clause de sauvegarde unilatérale, alors que ce n’était pas la solution privilégiée de la Suisse. En réalité, les délais contraignaient le Conseil fédéral a présenté un projet de loi à l’attention du Parlement. Il a toutefois été précisé que l’objectif restait la solution consensuelle avec l’Union européenne. Cette dernière, une fois trouvée, pourra être injectée dans le processus parlementaire, pour autant que le timing le permette.

La clause de sauvegarde unilatérale s’apparente à une issue idéale en ce qu’elle répond parfaitement aux besoins de la Suisse. Cependant, sa nature unilatérale n’offre pas de sécurité juridique, elle n’exclut pas les mesures de rétorsions et ne règle pas le sort de l’ALCP et des Bilatérales I. En outre, l’arrêt du Tribunal fédéral du 26 novembre 2015 reconnaît la primauté du droit international sur le droit interne. Ce qui signifierait que l’ALCP l’emporte sur la clause de sauvegarde unilatérale. Deux solutions se présentent alors, soit l’accord est dénoncé, et la clause guillotine est dès lors déclenchée, soit l’accord n’est pas dénoncé, mais le sort de l’article 121a de la Constitution est incertain. La solution unilatérale s’apparente donc finalement à une solution boiteuse, sans être une renonciation à une solution négociée avec l’Union.

D’autres mesures ont été prises, parmi lesquelles la proposition au Parlement de signer le protocole permettant l’extension de l’ALCP à la Croatie. Cette signature permet à la Suisse d’être à nouveau pleinement associée au programme-cadre de recherche Horizon 2020, étant donné que cette participation avait été mise en cause à la suite de la votation.

M. de Watteville a également présenté les prochaines étapes de la « saga » Suisse-UE et a indiqué qu’elles étaient constituées, entre autres, du traitement par le Parlement des messages concernant la mise en œuvre de l’article 121a de la Constitution, les mesures d’accompagnement et le protocole III étendant l’ALCP à la Croatie.

Ce qui a été mis en évidence, c’est que ces étapes doivent être franchies en gardant à l’esprit plusieurs éléments. Le premier consiste à éviter les interférences entre la situation Suisse-
UE et la relation du Royaume-Uni avec l’Union européenne. Selon nous, la seule formulation d’une telle indication est paradoxale. Tout en démontrant que les situations n’étaient pas comparables, les nombreuses références faites au sujet de la situation britannique par M. de Watteville attestent la prise en considération de celle-ci dans les négociations Suisse-UE. En effet, il est évident que le contexte intra-européen est pris en compte dans les discussions actuelles puisqu’il justifie le durcissement de l’Union européenne à l’égard de la Suisse. Le référendum du 23 juin est d’ailleurs présenté comme un moment clé pour les trois acteurs. Le second élément à ne pas négliger est le facteur temporel. Si une fenêtre d’opportunité s’ouvre – c’est l’expression utilisée par M. de Watteville pour qualifier la perspective – les délais seront très courts pour aboutir à temps à une solution négociée.

En outre, il semble que l’Union fasse un lien entre l’ALCP et le dossier institutionnel car un épilogue dans ces deux domaines conduirait au déblocage des autres dossiers actuellement en cours de négociation entre les deux partenaires, comme par exemple celui qui concerne l’éducation, la formation et la recherche.

En conclusion, les problèmes persistent et la prudence est de mise, même si l’optimisme conduit toutefois le négociateur en chef à affirmer qu’une fenêtre d’opportunité existe et qu’il faut la saisir.

Enfin, même si une loi était adoptée et apportait une solution au sujet de l’ALCP pour la fin de l’année, une nouvelle votation aurait probablement lieu et un référendum se tiendrait donc sur la nouvelle solution trouvée. A ce sujet, il a été souligné qu’il existe des divergences d’état d’esprit au sein de la Suisse même, notamment entre les suisses romands et les suisses allemands. On ne peut pas prévoir le thème d’un éventuel vote, ou encore, la possibilité d’avoir plusieurs votes. Dans tous les cas, « une solution convenue donnerait une sécurité juridique aux acteurs qui en ont besoin ».

A l’issue des questions posées par l’assistance, diverses précisions ont été apportées, notamment celle sur le lien entre l’accord institutionnel et l’ALCP fait par l’Union européenne. Il semblerait que l’Union négocie une solution consensuelle, si et seulement si elle obtient des garanties sur le plan institutionnel. La nature du lien n’est toutefois pas limpide. M. de Watteville a spécifié qu’en définitive, seule une volonté politique pouvait permettre de s’en sortir et que, même si cette volonté était bel et bien présente, il fallait voir si les circonstances permettraient de traduire cette volonté dans une solution négociée. On retiendra finalement, et sans surprise, que la balle est dans le camp du politique, pour débloquer la situation juridique.  

Margaux Biermé, « Relation Suisse-UE : une « fenêtre d’opportunité » étroite », Actualité du 22 mars 2016, disponible sur www.ceje.ch