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CH-UE : l’abandon de la condition du séjour légal préalable pour le regroupement familial

Anicée Lay , 15 janvier 2010

Le 29 septembre 2009, dans son arrêt 2C_196/2009, le Tribunal fédéral a pris en compte l’arrêt Metock de la Cour de justice (du 25 juillet 2008, aff. C-127/08, Rec. 2008, p. I-6241) pour l’examen du droit de séjour de ressortissants d’Etats tiers, inscrit à l’article 3, de l’annexe I, de l’Accord sur la libre circulation des personnes (conclu le 21 juin 1999, ci-après ALCP). Dans l’arrêt Metock, la Cour de justice avait abandonné la condition du séjour légal.

Jusqu’à cet arrêt, le Tribunal fédéral considérait que les ressortissants d’Etats tiers devaient avoir séjourné, en Suisse ou dans l’Union européenne, de manière légale afin de pouvoir bénéficier d’un droit de séjour. Encore récemment, dans l’arrêt 2C_35/2009, du 13 février 2009, le Tribunal fédéral avait exigé la condition du séjour légal. Par conséquent, la situation était différente en Suisse et dans l’Union européenne.

Dans son arrêt 2C_756/2009, du 15 décembre 2009, le Tribunal fédéral a à nouveau constaté que le droit de séjour d’un ressortissant d’un Etat tiers pouvait émaner de l’ALCP sans que la condition du séjour légal ne soit remplie.

Dans cet arrêt, la Cour suprême a fait largement référence à l’arrêt de septembre 2009. L’argumentation de ce premier arrêt est importante pour comprendre l’abandon de ladite condition. Les faits à l’origine de ces deux arrêts se ressemblent.

Dans l’arrêt du 29 septembre 2009, il s’agit d’un ressortissant de nationalité palestinienne qui vivait depuis des années sur le territoire suisse sans droit de séjour, avant de se marier avec une ressortissante espagnole établie en Suisse. Il fait recours contre le rejet d’une autorisation de séjour.

Le recourant de l’arrêt du 15 décembre 2009 est un ressortissant turc, qui vit pendant longtemps en Suisse « sans papiers ». Puis, il fait des démarches auprès du bureau de l’état civil de Biel-Niedau pour préparer son mariage avec une ressortissante allemande. Il est mis en détention aux fins d’expulsion par le département de la sécurité publique et de la population. Un juge unique du Tribunal administratif du canton de Berne décide que cette détention est légale. C’est la demande d’annulation de cette décision que le Tribunal fédéral examine.

L’argumentation du Tribunal fédéral pour écarter la condition du séjour légal se base d’abord sur une prise en considération du raisonnement de la Cour de justice dans l’arrêt Metock. Dans l’arrêt Metock, la Cour de justice s’était distanciée de son opinion juridique retenue dans l’arrêt Akrich (du 23 septembre 2003, aff. C-109/01, Rec. 2003, p. I-9607). Le Tribunal fédéral met en exergue la pertinence du raisonnement de la Cour de justice pour la situation en Suisse. Le Tribunal fédéral se soucie d’établir des situations comparables en Suisse et dans l’Union européenne.

Premièrement, il affirme que la jurisprudence de la Cour de justice postérieure à la signature de l’ALCP peut être prise en compte afin de créer une situation „parallèle“ (sic !) dans les domaines couverts par l’ALCP. Cette situation parallèle est considérée comme un objectif de l’ALCP. Selon le Tribunal fédéral, les raisons d’abus de droit, retenues dans l’arrêt Akrich par la Cour de justice pour établir le besoin de la condition du séjour légal, ne peuvent pas être généralisées. D’autant plus que le règlement n° 1612/68/CEE, du 15 octobre 1986, qui est à la base de l’arrêt Akrich, ne prévoit pas que la personne de l’Etat tiers ait résidé légalement sur le territoire d’un Etat membre. Le Tribunal fédéral estime aussi que la directive 2004/38/CE, du 29 avril 2004, qui se trouve au centre du raisonnement de l’arrêt Metock, ne contient pas de différences substantielles par rapport au règlement n° 1612/68/CEE. La Haute Cour suisse affirme que l’article 42, paragraphe 2, de la Loi fédérale sur les étrangers, du 16 décembre 2005, prévoit un séjour légal. Elle estime cependant que cette règle nationale (inspirée par l’arrêt Akrich) n’est pas pertinente pour l’interprétation de l’ALCP, même si une discrimination des ressortissants suisses est à craindre. L’argument phare de l’arrêt Metock, soit l’achèvement du marché intérieur et la suppression des entraves, est considéré comme convainquant par le Tribunal fédéral. Ce dernier reprend l’argument de la Cour de justice qui consiste à estimer qu’il serait nécessaire que les conditions pour „entrer et demeurer“ dans d’autres Etats membres soient les mêmes pour tous les citoyens de l’Union européenne et l’applique à la situation créée par l’ALCP. Il n’est désormais plus nécessaire de séjourner légalement en Suisse ou dans l’Union européenne afin d’obtenir le droit de séjour.

Dans le premier arrêt, le Tribunal fédéral décide finalement que des raisons d’ordre public ne s’opposaient pas au droit de séjour, qui avait été reconnu au recourant. Dans le deuxième arrêt, il estime qu’aucune raison d’ordre public ne s’oppose à la remise en liberté du recourant. Ainsi, la détention du recourant turc est considérée comme disproportionnée face à son mariage prévu.

La décision de ne plus prendre en considération la condition du séjour légal préalable favorise une meilleure libre circulation des personnes. En outre, elle démontre deux choses : d’une part, on voit à quel point la jurisprudence de la Cour de justice, même postérieure à l’entrée en vigueur de l’ALCP, est prise en considération. D’autre part, le souci de créer des règles comparables pour les domaines couverts par l’ALCP est primordial pour le Tribunal fédéral et prime même sur l’application de règles comparables aux ressortissants suisses et aux ressortissants des Etats membres de l’Union européenne.


Reproduction autorisée avec indication : Anicée Lay, "CH-UE : l’abandon de la condition du séjour légal préalable pour le regroupement familial", www.ceje.ch, actualité du 15 janvier 2010.