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Compte rendu de la conférence du 3 novembre 2009 : Suisse - Union européenne : quel avenir pour les bilatérales ?

Marc Morel , 9 novembre 2009

Invité par le Centre d’études juridiques européennes (CEJE) de la Faculté de droit de l’Université de Genève, M. l’Ambassadeur Urs Bucher, Chef du Bureau de l’intégration DFAE/DFE, est venu exposer quelques considérations relatives aux développements possibles des relations bilatérales qu’entretiennent la Suisse et l’Union européenne.

Contrairement à ce que certains prédisaient, la question européenne intéresse de plus en plus les suisses et les suissesses. Ainsi, et aussi surprenant que cela puisse paraître, nous discutons peut-être plus de l’Europe en Suisse que dans les Etats membres de l’Union européenne. Cependant, il convient de mettre en exergue que la discussion actuelle n’a rien à voir avec celle que nous avons pu avoir les dix dernières années. En effet, nous ne nous trouvons pas aujourd’hui à la veille d’une votation importante. Il s’agit donc du moment idéal pour dresser le bilan de notre politique européenne, et procéder à son évaluation.

Prolégomènes

A titre récapitulatif, M. Urs Bucher a rappelé certaines étapes du « parcours européen » de la Suisse. Après le rejet de la participation à l’EEE, la Confédération a dû trouver des mesures d’urgence pour éviter des dégâts en terme d’accès au marché. Avec les bilatérales I, le but a largement été atteint. Ce qui avait été conçu comme une mesure d’urgence s’est révélé représenter une réponse globale pour régir les relations de la Suisse avec son partenaire principal. Le résultat positif de la votation du 8 février 2009, concernant la reconduction de la libre circulation des personnes et son extension à la Bulgarie et la Roumanie, a confirmé le choix de la voie bilatérale avec Bruxelles. Surtout, cette votation a mis en exergue que les accords (I et II) fonctionnent bien et qu’ils déploient les effets souhaités. Par exemple, le système de Dublin a permis à la Confédération de soulager la charge qui lui incombe en tant qu’Etat responsable d’une demande d’asile. De l’avis de son excellence M. l’Ambassadeur, un résultat négatif au référendum du 8 février aurait donné lieu à une situation « cauchemardesque ». C’est en effet la légitimité démocratique de la voie bilatérale qui aurait été remise en cause. Or, une telle voie constitue un moyen viable pour défendre nos intérêts.

Les priorités de la politique suisse d’intégration européenne

Dans son récent rapport sur la politique étrangère, le Conseil fédéral a défini trois priorités en matière de politique européenne, lesquelles consistent en la bonne mise en œuvre de tous les accords existants, la consolidation des relations avec l’Union européenne, ainsi qu’en l’intensification desdites relations par le biais de la conclusion de nouveaux accords. Le chef du Bureau de l’intégration DFAE/DFE considère que ce triptyque de priorités représente un véritable programme de travail.

Le tissu contractuel unissant la Suisse et l’Union européenne se compose de plus d’une centaine d’accords, dont une vingtaine peuvent être qualifiés de « principaux ». Il convient de fournir les efforts nécessaires pour que ces accords déploient les effets attendus. A l’exemple de Schengen, de l’ALCP, de l’accord sur la fiscalité de l’épargne, ou encore de la politique de cohésion (le fameux « Milliard ») M. Urs Bucher a illustré les difficultés que suscite une mise en œuvre satisfaisante des accords existants, que ce soit en termes de participation au processus décisionnel ou plus généralement relativement aux problèmes d’application engendrés pour le secteur concerné.

La consolidation des relations contractuelles qu’entretiennent la Confédération suisse et l’Union européenne constitue également un défi majeur. Si la votation du 8 février a stabilisé les fondements de notre réseau conventionnel, il reste toutefois à rendre ces accords plus stables et prévisibles. Il s’agit donc pour la Suisse de s’adapter aux nouveaux besoins, lesquels correspondent au développement de l’acquis communautaire.

Concernant l’approfondissement des relations conventionnelles, la Confédération négocie dans trois domaines, à savoir l’électricité, la santé et les marchés agricoles. Comme l’a souligné notre Ambassadeur, ce sont des domaines hautement sensibles, et tangibles pour les citoyens helvétiques. En outre, lesdits domaines illustrent parfaitement l’intérêt à trouver des solutions en étroite collaboration avec notre partenaire européen. Il serait effectivement plus que laborieux d’agir efficacement dans de telles matières en faisant cavalier seul. La Suisse négociera aussi bientôt dans des domaines politiquement moins controversés, comme les produits chimiques, la navigation satellite ou encore les gaz à effet de serre. Notons que notre place financière se voit confrontée à de nouveaux défis, auxquels nous ne pourrons répondre qu’en coopérant avec l’Union européenne. On citera la fiscalité des entreprises, l’extension du champ d’application de l’accord sur la fiscalité de l’épargne, le passage à l’échange automatique d’informations (ou la fin du secret bancaire ?), et les standards de l’OCDE que la Suisse a accepté cette année. De plus, en réaction à la crise financière, nos partenaires, dont l’Union européenne, se dotent d’une nouvelle réglementation des marchés financiers et la Confédération en ressentira les effets puisque cela représente de notre point de vue l’instauration de nouveaux obstacles au marché.

Le parallélisme entre l’avancée des discussions sur des dossiers sensibles du côté helvétique d’une part, et la poursuite de négociations dans d’autres domaines plus intéressants pour la Suisse d’autre part, constitue un aspect essentiel dans l’approfondissement de nos relations contractuelles. Avec les bilatérales I, l’Union européenne avait exigé l’insertion d’une clause guillotine. Selon le chef du Bureau de l’intégration, c’est grâce au respect du principe du parallélisme que les bilatérales II ont pu être négociées avec succès, sans une telle clause. Le parallélisme se révèle avantageux pour les deux parties car l’application de ce principe permet d’obtenir une vue d’ensemble des relations qu’elles entretiennent, ainsi que d’accroître la satisfaction de leurs intérêts mutuels.

Un défi, dont l’importance augmente de façon exponentielle, réside dans l’exigence exprimée par notre partenaire européen que la Suisse reprenne non seulement l’acquis au moment de la signature, mais aussi son évolution. Il s’agit de la pièce de résistance dans nos négociations. Il convient dès lors d’étudier la manière dont nos relations avec l’Union européenne peuvent être menées au mieux si l’on continue dans la voie bilatérale.

Les moyens nécessaires à la mise en œuvre d’une politique européenne efficace

En 2006, le Conseil fédéral avait présenté un rapport sur la politique européenne, lequel n’avait à l’époque pas été accueilli à sa juste valeur. Conformément à la teneur de ce rapport, trois critères devaient être remplis dans la poursuite de la voie bilatérale. Il s’agit d’un bilan de souveraineté positif, de la faisabilité au plan extérieur et, enfin, des conditions-cadres sur le plan économique, lesquelles ne sauraient jouer en défaveur de la Confédération. C’est précisément sur ces trois aspects que la Suisse est obligée de passer à l’action. Rien ne garantit en effet que ces conditions seront remplies à l’avenir. Lors de sa séance en date du 21 octobre dernier, le Conseil fédéral a toutefois estimé que notre pays peut contribuer à la pérennité de la garantie de ces conditions. Des efforts ont d’ailleurs été déployés en ce sens.

Dans le cadre de la participation au processus décisionnel, le bilan de souveraineté doit être positif. Là où la Confédération reprend le droit de l’Union européenne, elle se doit d’influer sur la législation reprise et d’avoir son mot à dire relativement à la préparation de celle-ci. D’où le devoir qui en résulte pour nous de préparer les décisions prises par les seuls Etats membres. Aussi faut-il faire valoir notre expertise. Il convient en outre pour la Suisse de profiter de sa marge de manœuvre dans les domaines où elle n’est pas liée contractuellement avec son voisin européen pour atteindre ses buts constitutionnels.

La Confédération doit également dynamiser les accords conclus sans reprise systématique de l’acquis. La Suisse a adopté une position pragmatique en la matière. On accepte effectivement que les accords comportent des droits et obligations asymétriques. Actuellement, nous nous trouvons confrontés à un défi qui revêt une importance primordiale dans la sauvegarde de notre souveraineté : comment adapter nos accords aux développements du droit de l’Union européenne ? La position affirmée ces deux dernières années et qui a fait ses preuves consiste à subordonner l’acceptation de la reprise de l’évolution de l’acquis communautaire à la participation helvétique à la comitologie. En d’autres termes, cela signifie que nous exigeons en contrepartie de prendre part au développement de ce que l’on est censé reprendre. La fermeté doit aussi être de rigueur quant au refus de l’automaticité. Ainsi, un acte de volonté indépendant doit systématiquement être pris, dans des procédures internes helvétiques.

Fort de l’enseignement tiré de la négociation des bilatérales I, il s’avère essentiel d’éviter l’insertion d’une clause guillotine dans nos accords. En effet, si la Suisse ne suit pas un développement de l’acquis communautaire, il convient de prendre des mesures de rééquilibrage qui doivent être proportionnelles au manquement. Une clause d’arbitrage au sein de l’accord visé représenterait une solution adaptée pour décider de la proportionnalité desdites mesures de rééquilibrage. Cela tiendrait compte du fait que la Suisse n’est pas un Etat membre.

Tous ces problèmes pourraient être résolus, soit au cas par cas dans le cadre de chaque conclusion d’accord, soit de manière horizontale, par exemple par le biais de l’inscription dans un éventuel accord-cadre. Relativement à cette dernière alternative, lors de sa réunion du 21 octobre, le Conseil fédéral est néanmoins demeuré muet. Il ne s’agit pas pour lui d’une priorité et il faudra en conséquence attendre la réponse au postulat de Christa Markwalder jusqu’au prochain rapport sur l’évaluation de la politique européenne que nous menons.

Chaque accord conclu a un prix institutionnel, lequel est à pondérer avec la valeur de la coopération dans le domaine visé et les conséquences qui résulteraient de l’absence d’accord. La question sous-jacente est des plus simples : renoncer à la conclusion de l’accord représente-il le choix le plus opportun en vue d’atteindre nos objectifs ?

De plus, l’orateur s’interroge sur la limite de la voie bilatérale. La question, si elle est souvent posée, ne saurait se voir opposer une quelconque réponse mathématique. Une chose est toutefois sûre - et le Conseil fédéral l’a affirmé - l’emprunt de cette voie ne doit en aucun cas amener la Suisse à devenir un Etat membre sans droit de vote. Il ne faut pas reprendre l’ensemble de l’acquis communautaire sans sourciller. Il s’agit là de la problématique clé liée au développement de nos relations avec l’Union européenne. Si la décision appartient nécessairement à l’Union européenne, il n’en demeure pas moins possible pour la Confédération d’influencer ses partenaires afin de discuter de solutions satisfaisantes pour les deux parties. En gardant à l’esprit que nous avons plus besoin d’un partenariat intense avec l’Union européenne que l’inverse, il faut que cette dernière ait un intérêt à conclure un accord avec la Suisse. Notre pays doit de surcroît être perçu comme un partenaire fiable, et il nous appartient donc de tout mettre en œuvre pour contribuer à la résolution des problèmes que nous partageons avec notre partenaire européen. Il s’agit d’être acteur, et non pas profiteur. En dernier lieu, M. Urs Bucher a souligné que, en vue de maintenir des relations pérennes avec notre premier partenaire économique, les demandes formulées vis-à-vis de l’Union européenne doivent être réalistes et la Confédération se doit d’être attentive aux attentes exprimées par l’entité supranationale.

La crise qui a frappé les marchés financiers a révélé l’influence minime qu’exerce la Suisse sur les conditions-cadres économiques. Cela est de nature à exacerber la nécessité de se doter de conditions-cadres au niveau national qui réagissent aux changements des conditions-cadres internationales. En somme, il convient d’adopter une législation nationale et de conclure des accords qui répondent de manière adéquate aux besoins qu’exigent les conditions-cadres économiques dans un monde globalisé.

Conclusion

Si l’on conclue que nos intérêts sont bien défendus via la voie bilatérale, ce n’est pas pour autant que l’on peut se passer de réfléchir sur les alternatives possibles. On ne saurait en effet omettre que, malgré les avantages qu’elle est susceptible d’offrir, la voie bilatérale ne représente aucunement une fin en soi. Il se révèle alors opportun d’étudier les avantages et les inconvénients que présentent pour nous les différentes alternatives. La visée poursuivie consiste à atteindre nos intérêts, tels qu’ils résultent de notre Constitution. A cet égard, il convient de mettre en exergue qu’il y a quasiment une identité de buts entre la Constitution de la Confédération et le droit de l’Union européenne, et que l’entrée en vigueur imminente du traité de Lisbonne ne changera rien à cette équation fondamentale.

Nonobstant la position que l’on adopte sur une éventuelle adhésion de la Suisse à l’Union européenne, il convient de continuer sur la voie d’une discussion raisonnable fondée sur un consensus de base composé de deux éléments : d’une part, il est impossible de résoudre les grands problèmes du 21e siècle seul. Or, eu égard à notre situation géographique, à l’intensité des liens qui nous unissent et aux valeurs communes que nous partageons, une coopération avec l’Union européenne s’avère indispensable ; d’autre part, dans un monde caractérisé par l’interdépendance, il faut reconnaître que notre souveraineté n’est pas illimitée.

Ce n’est pas la Suisse qui, seule, va imposer quoi que ce soit à l’Union européenne. L’objectif fixé réside dès lors dans la mise en œuvre des moyens les plus efficaces pour exercer la plus grande influence possible dans le cadre de la conduite de nos relations conventionnelles avec notre partenaire européen.


Reproduction autorisée avec indication de la source : Marc Morel, "Compte rendu de la conférence du 3 novembre 2009 : Suisse - Union européenne : quel avenir pour les bilatérales ?", www.ceje.ch, actualité du 9 novembre 2009.