fb-100b.png twitter-100.pnglinkedin-64.png | NEWSLETTER  |  CONTACT |

Reconduction et extension de l’ALCP : deux questions, combien d’arrêtés fédéraux ?

Diane Grisel , 2 juin 2008

Alors que se tenait le 27 mai 2008, à Bruxelles, la cérémonie de signature du protocole à l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP ; RS 0.142.112.681) concernant la participation de la Bulgarie et de la Roumanie en tant que parties contractantes, le Conseil national s’est prononcé le 28 mai en faveur de deux projets d’arrêtés du Conseil fédéral concernant la reconduction de l’ALCP et son extension à la Bulgarie et à la Roumanie. Le Conseil national soutient la position du Conseil fédéral et propose au plénum de maintenir deux projets distincts d’arrêtés fédéraux.

Il y a donc divergence entre le Conseil national et le Conseil des Etats, puisque ce dernier, suivant l’avis exprimé par sa Commission de politique extérieure, avait le 28 avril dernier préconisé de ne soumettre qu’un seul arrêté fédéral, qui regrouperait la question de l’extension et celle de la prolongation, au référendum facultatif. La Commission de politique extérieure du Conseil des Etats a d’ailleurs, le 29 mai, maintenu sa proposition de fusionner les deux arrêtés fédéraux.

Le différend porte uniquement sur la forme que revêtira l’approbation de la reconduction et de l’extension de l’accord : un seul ou deux arrêtés fédéraux ? Sur le fond, tant le Conseil national (à une majorité de 175 voix contre 10 s’agissant de la reconduction et de 134 contre 45 s’agissant de l’extension) que le Conseil des Etats (à une majorité de 34 voix contre 3) soutiennent la reconduction et l’extension de l’accord. Les deux chambres fédérales ont souligné l’importance cruciale pour l’économie suisse que revêt l’ALCP. Les craintes que l’accord a pu susciter en matière d’immigration et d’effets sur les salaires ont été écartées dans un récent rapport de l’administration fédérale sur son application depuis le 1er juin 2002 (Quatrième rapport, du 25 avril 2008, de l’Observatoire sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE pour la période du 1er juin 2002 au 31 décembre 2007). La question de lier ou non la reconduction et l’extension en un seul arrêté fédéral consiste à déterminer si l’objet soumis au référendum facultatif est unique ou double.

La reconduction et l’extension constituent formellement deux questions distinctes. Dans l’ALCP, la reconduction de l’accord est prévue à l’art. 25, paragraphe 2, lequel dispose que l’accord, conclu pour une période initiale de 7 ans, est reconduit pour une période indéterminée à moins que la Suisse ou la Communauté européenne ne notifie le contraire dans ce délai de sept ans. Dans l’arrêté fédéral de 1999 portant approbation de l’accord, qui avait été soumis au référendum facultatif et accepté en votation populaire le 21 mai 2000 (RO 2002 1527), l’Assemblée fédérale avait précisé que, d’une part, la prolongation de l’accord et, d’autre part, son extension à des Etats membres qui n’étaient pas encore membres de l’Union européenne au moment de l’approbation de l’accord, se feraient par le biais de l’adoption d’un arrêté fédéral soumis au référendum facultatif. L’extension de l’ALCP aux dix nouveaux Etats membres de l’Union européenne ayant adhéré le 1er mai 2004 a ainsi fait l’objet d’un protocole annexé à l’accord dont l’approbation, par l’Assemblée fédérale, a pris la forme d’un arrêté fédéral accepté en votation populaire le 25 septembre 2005 (RO 2006 979).

Toutefois, le lien étroit qui unit la reconduction et l’extension semble prévaloir sur leur distinction formelle. Rien ne s’oppose juridiquement à la réunion des deux questions dans un même arrêté fédéral parce que, précisément, la règle de l’unité de la matière serait respectée. La reconduction et l’extension sont intimement liées en raison des conséquences que le refus de l’une aurait sur l’autre. D’une part, le refus de la reconduction de l’accord rend naturellement superflu une décision sur son extension ; d’autre part, il est inévitable qu’une union de 27 Etats membres qui élève le principe de non discrimination comme principe fondamental de son ordre juridique ne tolère pas que deux de ses membres soient traités différemment que les 25 autres par un Etat tiers. L’Union européenne n’admettrait en principe pas de maintenir un accord entre la Suisse et seulement 25 de ses membres. Si l’extension à la Roumanie et à la Bulgarie n’est pas acceptée, la Communauté européenne est légitimée à faire usage de la faculté de dénoncer l’accord, laquelle est prévue à l’article 25, paragraphe 3, de l’accord. L’ALCP et les autres accords formant les Bilatérales I cesseraient d’être applicables en vertu de l’article 25, paragraphe 4 (la « clause guillotine » ; parmi les accords formant le paquet des Bilatérales I, seul l’accord sur la recherche ne cesserait pas d’être applicable mais ne serait toutefois pas renouvelé). Dans l’hypothèse où la Suisse notifiait à la Communauté européenne qu’elle n’entend pas reconduire l’accord, la clause guillotine s’appliquerait également de manière automatique. En outre, si la cessation de l’ALCP entraine l’abrogation de six autres accords des Bilatérales I, d’autres accords seraient également menacés. L’accord d’association de la Suisse à Schengen, entré en vigueur le 1er mars 2008 et dont l’application effective est prévue pour le mois de novembre 2008, risquerait d’être mis en cause. Quand bien même il n’existe pas de lien juridique direct entre l’accord Schengen et l’ALCP, la libre circulation apparaît constituer une pré-condition à la mise en place de l’espace Schengen.

Les conséquences qu’aurait le rejet, en votation populaire, de la reconduction ou de l’extension illustrent le lien étroit qui les lie. Les questions de la reconduction et de l’extension, qu’elles soient soumises au peuple dans un seul ou dans deux arrêtés, reviennent en définitive à déterminer la volonté de la Suisse à poursuivre la libre circulation des personnes avec une Union européenne qui compte désormais 27 Etats membres.


Reproduction autorisée avec indication : Diane Grisel, "Reconduction et extension de l’ALCP : deux questions, combien d’arrêtés fédéraux ?", www.ceje.ch, actualité du 2 juin 2008.