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Action d’un État tiers contre les mesures restrictives prises à son égard devant la Cour de justice de l’Union européenne ?

Maddalen Martin-Arteche , 27 janvier 2021

Pour la première fois, la Cour de justice de l’Union européenne sera appelée à statuer sur la recevabilité d’un recours en annulation introduit par un État tiers contre les mesures restrictives prises par le Conseil de l‘Union européenne à son égard. En l’occurrence, le Venezuela avait introduit devant le Tribunal de l’UE un recours en annulation contre le règlement 2017/2063 concernant des sanctions à son encontre telles que l’interdiction de vente ou d’exportation des équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne.

Le 20 septembre 2019 le Tribunal a jugé que le Venezuela n’avait pas démontré qu’il était directement concerné, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, par les mesures restrictives prises à son égard et qu’il n’avait donc pas la qualité nécessaire pour former un recours en annulation. Le recours a été jugé irrecevable. Le Venezuela a formé pourvoi devant la Cour de justice.

Dans ses conclusions, l’avocat général Hogan considère nécessaire de se prononcer sur deux questions. En premier lieu, sur la question de savoir si le Venezuela est une « personne morale » au sens de l’article 263 TFUE. À supposer que la première question appelle une réponse affirmative, sur la question de savoir si les mesures restrictives affectent directement le Venezuela de sorte à lui reconnaître la qualité nécessaire pour contester la validité de ces mesures.

Pour répondre à la première question, l’avocat général examine d’abord les questions de droit international public soulevées par cette affaire. Il se réfère, d’une part, à la reconnaissance de la souveraineté de l’État de Venezuela par la communauté des nations et d’autre part, au principe de courtoisie judiciaire. L’avocat général affirme que le Venezuela s’est vu attribuer, en raison de cette reconnaissance et du point de vue du droit international public, la personnalité juridique et la considération en tant que personne morale. Concernant le principe de courtoisie, celui-ci garantit à tous les États souverains que, sauf hostilités effectives, ils sont autorisés à saisir les juridictions d’un autre État souverain. L’avocat général invite la Cour de justice à suivre ces pratiques du droit international public. 

Par ailleurs, l’avocat général rappelle la jurisprudence du Tribunal qui suggère que les dispositions de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE doivent être interprétées de manière téléologique (ordonnance du Tribunal du 10 septembre 2020, Cambodge et CRF/Commission, T‑246/19, point 46). Par conséquent, exclure les États tiers de la protection juridictionnelle accordée en vertu de l’article 263 TFUE, affirme l’avocat général, irait à l’encontre de l’objectif de cette disposition. De plus, il est d’avis que le respect de l’État de droit (une des valeurs de l’UE) et du principe de protection juridictionnelle effective (consacré à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE) plaide également en faveur d’une reconnaissance du Venezuela comme « personne morale » au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

Sur la question du critère de l’affectation directe, l’avocat général fait observer que les mesures restrictives contenues dans le règlement 2017/2063 visaient spécifiquement le Venezuela et avaient pour objet de l’affecter. Selon lui, les sanctions empêchent le Venezuela d’acheter certains biens et services spécifiques à certains opérateurs déterminés de l’UE et affectent de ce fait directement ses droits et intérêts juridiques. L’avocat général ajoute que la Cour de justice a itérativement précisé que, eu égard à son incidence négative sur les libertés et les droits fondamentaux de la personne ou de l’entité faisant l’objet de mesures restrictives, toute inscription sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives ouvre à cette personne ou à cette entité, en ce qu’elle s’apparente à son égard à une décision individuelle, l’accès au juge de l’UE, conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (arrêt de la Cour du 1 mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, point 44 et la jurisprudence citée).

Enfin, l’avocat général propose à la Cour de justice de déclarer que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a jugé que le recours en annulation introduit par le Venezuela était irrecevable pour défaut de qualité pour agir au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Il suggère que la procédure soit renvoyée devant le Tribunal afin que celui-ci puisse statuer à nouveau sur les aspects de recevabilité ainsi que sur le fond du recours en annulation.

La décision de la Cour de justice est fortement attendue.