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La notion d’acte attaquable subit-elle des changements en période de crise migratoire ?

Ljupcho Grozdanovski , 9 mars 2017

L’ordonnance NF c. Conseil européen du Tribunal, du 28 février 2017 (aff. T-192/16) incite à revoir le contentieux de la légalité relatif à la notion d’acte attaquable, au sens de l’article 263 du traité FUE. En principe, peut faire l’objet d’un contrôle de la légalité, tout acte qui produit des effets juridiquement contraignants et est imputable aux institutions, organes et organismes de l’Union européenne.  La Cour de justice a toutefois précisé la portée de ces critères. Dans l’arrêt AETR (aff. 22/70), elle a conclu qu’un acte pris par les Etats membres réunis au sein du Conseil était imputable à ce dernier. De même, dans un arrêt France c. Commission (aff. C-327/91), elle a précisé qu’une demande en annulation d’un accord international visait, en réalité, l’acte portant conclusion de l’accord en question. Dans l’ordonnance NF c. Conseil européen, les principes posés dans les arrêts cités ont été revisités et - quelque peu - mis à l’épreuve.

En 2015, un plan d’action a été mis en place par l’Union européenne et la Turquie, afin de renforcer leur coopération en matière de gestion des flux migratoires, provoqués par la situation en Syrie.  En 2016, une déclaration politique (ci-après la déclaration UE-Turquie) a été publiée en tant que communiqué de presse sur le site Internet du Conseil. Cette déclaration était issue de la troisième réunion entre les chefs d’Etat ou de gouvernement des Etats membres de l’Union et leur homologue turc et exposait, entre autres, les mesures opérationnelles prises en vue d’une meilleure gestion des demandeurs d’asile arrivés en Grèce depuis la Turquie.

Un ressortissant pakistanais, arrivé en Grèce, y a déposé une demande d’asile. Après une période passée dans un centre de rétention, il a pris la fuite vers l’île de Lesbos. Ledit ressortissant a prétendu  ne jamais avoir eu l’intention de présenter une demande d’asile auprès des autorités grecques, en raison des déficiences systémiques dans la mise en œuvre du système d’asile européen. Il a, alors, saisi le Tribunal en vue de contester la légalité de la déclaration UE-Turquie qu’il a considéré comme un acte imputable au Conseil européen, matérialisant un accord international conclu entre l’Union européenne et la Turquie.

Le Conseil européen a soutenu qu’aucun traité ou accord n’a été conclu, ni au sens de l’article 218 du traité FUE ni au sens de l’article 2 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Il a, en outre, souligné que la déclaration en cause n’est pas un acte qui lui est imputable, dès lors qu’elle est issue d’une réunion des chefs d’Etat ou de gouvernement des Etats membres de l’Union et leur homologue turc. Ladite déclaration constituerait donc un acte imputable aux Etats membres, échappant au contrôle de la légalité opéré au titre de l’article 263 du traité FUE.

Le requérant a, quant à lui, fait valoir que les représentants des Etats membres de l’Union européenne ont agi au nom de celle-ci. Selon lui, les références, dans la déclaration UE-Turquie, au fait que l’Union et la Turquie « se sont entendues » et ont « décidé » et « reconfirmé » les mesures opérationnelles liées à la gestion des flux migratoires, indiquent l’existence d’obligations conventionnelles juridiquement  contraignantes.

Sur le plan de la recevabilité du recours, le Tribunal a rappelé sa compétence pour contrôler la légalité des actes pris par les institutions, organes et  organismes de l’Union, indépendamment de la nature et la forme de ceux-ci, pour autant qu’ils produisent des effets de droit. Il a, toutefois, précisé qu’il n’est pas compétent pour contrôler la légalité d’actes adoptés par les représentants des Etats membres, réunis dans l’enceinte de l’une des institutions de l’Union et agissant en leur qualité de chefs d’Etat ou de gouvernement.

En ce qui concerne la qualification d’accord international, suggérée par le requérant pour la déclaration UE-Turquie, le Tribunal s’est référé à l’arrêt France c. Commission (aff. C-327/91), en précisant que son contrôle ne peut porter que sur l’acte portant conclusion d’un accord international, et non sur l’accord lui-même. Il a donc interprété la demande du requérant comme tendant, en réalité, à l’annulation de l’acte par lequel le Conseil européen aurait entendu conclure un accord avec la Turquie.

Sur le fond, afin de vérifier si la déclaration UE-Turquie matérialisait un accord international que le Conseil européen aurait entendu conclure, le Tribunal s’est référé au contenu de cette dernière. Il a admis que l’expression ‘membres du Conseil européen’ peut laisser entendre que ladite déclaration est un acte imputable au Conseil européen. Toutefois, nonobstant « les termes regrettablement ambigus de la déclaration» (pt 66), le Tribunal a conclu qu’il ne s’agit pas d’un acte dont le Conseil européen est le seul auteur. Le Président de celui-ci s’est, certes, vu confier  la mission de représentation et de coordination, mais les documents produits par lui précisaient qu’il s’agissait, non de sessions du Conseil européen, mais de réunions entre les représentants des Etats membres de l’Union et leur homologue turc. Le Tribunal a, dès lors, considéré que l’expression « membres du Conseil européen » dans la déclaration UE-Turquie doit être entendue comme se référant aux chefs d’Etat ou de gouvernement des Etats membres de l’Union, et que le Conseil européen n’a adopté aucune décision propre, portant conclusion, au nom de l’Union, d’un accord avec le gouvernement turc. Le recours a donc été rejeté.

L’ordonnance NF c. Conseil européen, aussi originale soit-elle, incite à s’interroger sur l’évolution du contentieux de la légalité de l’Union européenne. Selon une jurisprudence constante dans le domaine du recours en annulation, la qualification d’un acte d’acte attaquable dépend d’un critère objectif qu’est la capacité de l’acte concerné à produire des effets juridiquement contraignants, quelque soit sa forme et son appellation. L’on peut se demander si ce critère est dès lors ‘adapté’ au cas où est en cause la légalité de déclarations politiques. En effet, dans l’ordonnance sous examen, le débat portait davantage sur un critère subjectif dès lors qu’il s’agissait de savoir si la volonté politique des chefs d’Etat ou de gouvernement des Etats membres de l’Union était constitutive d’un acte de volonté normative du Conseil européen. La question de l’imputabilité d’un acte de volonté à une institution de l’Union a aussi été posée dans l’arrêt AETR. Toutefois, dans cet arrêt, la qualité d’accord international de l’accord sur le transport routier n’a pas été contestée. Or, dans l’ordonnance NF c. Conseil européen, le Tribunal s’est prononcé non seulement sur l’existence d’une volonté attribuable au Conseil européen, mais aussi sur l’accord international qui en découlerait, prenant la forme d’une déclaration politique. A voir donc si la multiplication des déclarations de volonté politique en temps de crise engendrera une multiplication des critères d’appréciation de la notion d’acte attaquable au sens de l’article 263 du traité FUE.

 

Ljupcho Grozdanovski, « La notion d’acte attaquable subit-elle des changements  en période de crise migratoire ? », Actualité du 9 mars 2017,disponible sur www.ceje.ch