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Refus de visa pour études en raison d’un risque élevé de collectes d’informations confidentielles

David Trajilovic , 10 avril 2017

Le 4 avril 2017, dans l’affaire Sahar Fahimian c. Bundesrepublik Deutschland, la Cour justice de l’Union européenne, siégeant en grande chambre, a dû répondre à trois questions préjudicielles portant sur  l’application de la notion de sécurité publique en vertu de la directive 2004/1uttgjh14 (directive sur l’admission des ressortissants de pays tiers sur le territoire des Etats membres à des fins d’études).

En l’espèce, il s’agissait d’une étudiante, Mme Sahar Fahimian, ressortissante iranienne, qui détenait un master en sciences de technologies de l’information, délivré par l’université iranienne de Sharif University of Technology (SUT). Elle avait été admise à suivre des études de doctorat auprès du Center for Advanced Security Research Darmstadt (CASED), rattaché à la Technische Universität Darmstadt (université de Technologie de Darmstadt). Elle avait introduit une demande de visa auprès de l’ambassade allemande à Téhéran. Elle avait joint en copie une preuve de son admission au sein de de cette université, ainsi qu’une lettre du directeur exécutif du CASED. Cette lettre contenait le projet de recherches de Mme Fahimian qui avait pour objet la sécurité des systèmes mobiles, de la reconnaissance d’attaques, jusqu’aux protocoles de sécurité.

Les autorités allemandes avaient cependant refusé de délivrer le visa à Mme Fahimian au motif qu’au vu de la situation en Iran, la crainte que Mme Fahimian acquiert dans le cadre de ses études des informations pour les employer ultérieurement en Iran à des fins militaires était élevée. Ce faisant, il existait une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique en vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2004/114 justifiant le refus d’entrée. Dans le cadre du renvoi préjudiciel, la Cour de justice a traité de manière conjointe les trois questions formulées par la juridiction nationale, à savoir si l’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2004/114 devait être interprété en ce sens que les autorités nationales, lorsqu’elles sont saisies par un ressortissant d’un pays tiers d’une demande de visa à des fins d’études, disposent d’une large marge d’appréciation pour déterminer si ce ressortissant représente une menace pour la sécurité publique, et si lesdites autorités pouvaient refuser l’octroi du visa sollicité selon les circonstances telles que celles en cause au principal.

S’agissant de la marge d’appréciation, la Cour de justice a relevé que les Etats membres ne pouvaient pas inclure des conditions supplémentaires liées à l’admission de ressortissants de pays tiers à des fins d’études autres que celles prévues aux articles 6 et 7 de la directive 2014/114 (point 36). En revanche, une marge d’appréciation est reconnue concernant l’appréciation des conditions en cause, et en particulier, celle tenant à l’existence d’une menace pour la sécurité publique (point 37). La Cour de justice a encore rappelé que la notion de sécurité publique couvrait à la fois la sécurité intérieure et extérieure, c’est-à-dire, « tant l’atteinte au fonctionnement des institutions et des services publics essentiels qu’à la survie de la population, de même que le risque d’une perturbation grave des relations extérieures ou de la coexistence pacifique des peuples, ou encore l’atteinte aux intérêts militaires » (point 39 et les références citées).

Plus concrètement, la Cour de justice a souligné que contrairement à l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 (directive relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs de famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres) qui prévoit un examen plus étroit portant sur le comportement personnel de l’individu concerné, l’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2004/114, lu en combinaison avec le considérant 14, dispose que les autorités peuvent refuser un visa sur la base d’un examen d’une menace, fut-elle « potentielle », pour la sécurité publique (point 40). Selon la Cour de justice, il peut s’agir d’un examen portant « sur une appréciation de la personnalité de ce demandeur, sur son insertion dans le pays où il réside, sur la situation politique, sociale et économique de ce dernier, ainsi que sur la menace éventuelle que représenterait, pour la sécurité publique, l’admission dudit demandeur, à des fins d’études, sur le territoire de l’État membre concerné, au regard du risque que les connaissances qu’acquerra ce même demandeur lors de ces études puissent ultérieurement être utilisées, dans le pays d’origine de celui-ci, à des fins préjudiciables à ladite sécurité publique » (point 41). La Cour de justice a estimé que certes le contrôle juridictionnel qu’elle pouvait exercer se limitait à l’absence d’erreur manifeste, mais que le juge national devait néanmoins vérifier si le refus d’octroyer un visa par un motif de sécurité publique reposait sur une base factuelle suffisamment solide et sur des motifs dûment justifiés (points 45 et 46).

Quant à l’examen du cas d’espèce, la Cour de justice a constaté que Mme Fahimian était diplômée par la SUT, une université qui est inscrite sur la liste des entités faisant l’objet de mesures restrictives figurant à l’annexe IX du règlement n° 267/2012, et que le projet de recherches que la requérante au litige au principal voulait mener en Allemagne portait sur le domaine sensible de la sécurité des technologies de l’information. De ce constat, la Cour de justice a admis qu’une menace à la sécurité publique était à craindre compte tenu des informations que Mme Fahimian pourrait recueillir en Allemagne et les réutiliser en Iran à des fins abusives, telles que la collecte d’informations confidentielles dans des pays occidentaux, la répression interne ou encore en relation avec des violations des droits de l’homme (point 49). Par conséquent, le refus du visa de Mme Fahimian était justifié.

Dans cette affaire, l’élément déterminant était la distinction à faire entre la notion de sécurité publique prévue à l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 et celle prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2004/114. La première impose un examen plus strict de la menace pour la sécurité publique, qui inclut le comportement personnel de l’individu et le caractère concret de la menace (réelle, actuelle et suffisamment grave). Pour la seconde, les autorités peuvent se contenter d’un examen global incluant une marge d’appréciation large laissée aux Etats membres. Avec pour conséquence que le but et les objectifs de la directive 2004/114, qui sont la promotion de l’Europe en tant que centre mondial d’excellence pour les études et la formation professionnelle et la favorisation de la mobilité des ressortissants de pays tiers (considérant 6), s’en trouvent amoindris. Et que la mesure, telle que celle prise par les autorités allemandes, ne laisse peu, voire guère de place à une analyse du principe de proportionnalité.

David Trajilovic, «Refus de visa pour études en raison d’un risque élevé de collectes d’informations confidentielles», actualité du 10 avril 2017, disponible sur www.ceje.ch