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Le statut des institutions de l’Union européenne dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité et les voies de droit possibles

Alicja Zapedowska , 29 septembre 2016

Dans deux arrêts rendus en grande chambre le 20 septembre 2016 (dans les affaires jointes C-8-15 P, C-9/15 P, C-10/15 P, ainsi que dans les affaires jointes C-105/15 P, C-106/15 P, C-107/15 P, C-108/15 P, C-109/15 P), la Cour de justice de l’Union européenne est amenée à clarifier le rôle de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne (ci-après BCE) dans le cadre du protocole d’accord conclu entre la République de Chypre et le Mécanisme européen de stabilité (ci-après MES).

Suite aux difficultés financières que les banques chypriotes ont rencontrées en 2012, le gouvernement a formulé une demande d’assistance à l’Eurogroupe – organe informel composé des ministres des Etats membres de la zone euro. Ce dernier a déclaré le 27 juin 2012, qu’une aide financière sera mise en place par le biais du Mécanisme européen de stabilité, dans le cadre d’un programme d’ajustement macroéconomique. La négociation entre le gouvernement chypriote, la Commission européenne, la BCE et le FMI d’un protocole d’accord a eu lieu. Le 25 mars 2013, l’Eurogroupe a déclaré que les parties sont parvenues à un accord relatif au futur programme macroéconomique d’ajustement et a encouragé les mesures de restructuration du secteur financier. Le protocole d’accord a été signé par le ministre des Finances chypriote, le gouverneur de la Banque Centrale de Chypre et le vice-président de la Commission européenne agissant au nom du MES. 

Dans le cadre des mesures prévues, la Bank of Cyprus et la Cyprus Popular Bank ont été soumises à la procédure d’assainissement par la Banque Centrale de Chypre, ce qui a provoqué une diminution importante de la valeur des dépôts des particuliers chypriotes et des sociétés établies à Chypre.

Dans ces circonstances, deux recours ont été introduits devant le Tribunal de l’Union européenne. Sept individus ont introduit un recours en annulation contre la déclaration de l’Eurogroupe du 25 mars 2013. Parallèlement, cinq autres particuliers et une société ont demandé l’annulation des parties concernées du protocole d’accord et une indemnité dans le cadre d’une action en responsabilité extracontractuelle introduite à l’encontre de la Commission européenne et de la BCE.

En ce qui concerne le recours en annulation, la Cour de justice confirme la décision d’irrecevabilité rendue par le Tribunal de l’Union européenne. Elle a estimé que la déclaration attaquée ne peut pas être imputée ni à la Commission, ni à la BCE du seul fait de leur participation aux réunions de l’Eurogroupe, faute de compétence décisionnelle des deux institutions concernant les questions liées au MES. En effet, le Tribunal de l’Union européenne avait considéré que l’Eurogroupe est une réunion informelle entre ministres et qu’il n’est aucunement mandaté par la Commission européenne ou la BCE. Dès lors, ces deux institutions ne peuvent pas être auteurs de la déclaration attaquée. L’Eurogroupe n’est pas un organe décisionnel. Dès lors, il ne s’agit pas d’un acte produisant des effets juridiques à l’égard des tiers : il est question d’une déclaration purement informative qui informe de la volonté des parties de poursuivre les négociations selon les termes de la déclaration.

En outre, le recours en annulation peut être introduit à l’encontre des actes pris par les institutions de l’Union européenne lorsqu’ils produisent des effets de droit obligatoires, qui affectent les intérêts et modifient la situation juridique des personnes concernées. Or, comme il ressort de l’arrêt Pringle (C‑370/12), lorsque le traité MES attribue des missions à la Commission européenne et à la BCE dans le but de mettre en œuvre les objectifs du MES, ces institutions n’exercent aucun pouvoir décisionnel et leurs activités n’engagent que le MES. Après avoir analysé les tâches attribuées aux deux institutions, la Cour de justice conclut que leur participation aux réunions de l’Eurogroupe n’affecte ni la nature juridique de la déclaration de ce dernier, ni le statut donné aux institutions dans le cadre du traité MES. Dès lors, le cadre juridique national imposant notamment les mesures d’assainissement n’est pas fondé sur une prétendue décision de la Commission européenne ou de la BCE. Comme le soutient l’avocat général, l’Eurogroupe ne peut pas être considéré comme une formation du Conseil de l’Union européenne ou un organisme, au sens de l’article 263 du traité FUE. Ainsi, le recours en annulation ne peut pas être admis.

En revanche, s’agissant de la demande de versement d’une indemnité équivalente à la diminution de la valeur des dépôts des requérants, la Cour de justice n’a pas confirmé l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne qui avait considéré que les prétentions étaient irrecevables et partiellement infondées. L’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne est conditionné par la réalisation de trois conditions cumulatives, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution de l’Union, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement de l’institution et le préjudice invoqué. La Cour de justice précise que même si la Commission européenne et la BCE n’ont pas de pouvoir décisionnel dans le cadre du MES, ils peuvent se voir opposer les comportements illicites liés à l’adoption du protocole d’accord, au sens des articles 268 et 340 du traité FUE.

La Commission européenne, en tant que gardienne des traités, devait s’abstenir de signer un protocole d’accord qui était incompatible avec le droit de l’Union. Dans le cas d’espèce, il est reproché à la Commission européenne de ne pas avoir veillé au respect de l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatif au droit de propriété. La Cour de justice relève que les institutions sont tenues de respecter la Charte des droits fondamentaux, même lorsqu’elles agissent en dehors du droit de l’Union. Cependant, le droit de propriété n’est pas un droit absolu, il peut être restreint dans une mesure raisonnable et tolérable lorsque cela est justifié par des objectifs d’intérêt général de l’Union. In casu, l’objectif poursuivi était la stabilité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble : en particulier, la prévention d’une propagation de la défaillance des banques dans l’Etat membre concerné ou dans d’autres Etats membres. La prévention de pertes financières imminentes qui seraient survenues en cas de faillite des banques chypriotes n’était dès lors pas une restriction démesurée ou intolérable du droit de la propriété. La première condition de l’action en responsabilité n’étant pas remplie, la Cour de justice décide de ne pas faire droit au recours en indemnité.

En conclusion, les deux arrêts clarifient le statut des institutions de l’Union européenne lorsqu’elles participent au Mécanisme Européen de Stabilité. Ils indiquent aussi les moyens de droit à disposition des sociétés et individus qui ont dû subir les conséquences des politiques de restructuration : la voie du recours en annulation n’est pas ouverte, seul peut être suivi le chemin difficile de l’action en responsabilité non contractuelle.

Alicja Zapedowska, «Le statut des institutions de l’Union européenne dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité et les voies de droit possibles», Actualité du 29 septembre 2016, disponible sur www.ceje.ch