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Mandat d’arrêt européen et conventions relatives à l’extradition

Mihaela Nicola , 29 septembre 2008

Dans l’affaire C-296/08 PPU, la Cour de justice des Communautés européennes a eu l’occasion d’examiner les interactions entre le mandat d’arrêt européen institué par la décision-cadre 2002/584 et les conventions relatives à l’extradition.

La demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’une procédure relative à l’exécution, par les autorités françaises, d’une demande d’extradition formée par les autorités espagnoles à l’encontre de M. Goicoechea, recherché pour des faits prétendument commis sur le territoire espagnol au cours des mois de février et de mars 1992.

Aux termes de l’article 31, paragraphe 1, la décision-cadre 2002/584 remplace à partir du 1er janvier 2004 les dispositions correspondantes des conventions énumérées applicables en matière d’extradition entre les Etats membres, dont la convention de 1996, en cause dans la présente affaire.

L’article 31, paragraphe 2, premier alinéa, permet aux États membres de continuer d’appliquer « des accords ou des arrangements bilatéraux ou multilatéraux en vigueur au moment de l’adoption de la décision-cadre dans la mesure où ceux-ci permettent d’approfondir ou d’élargir les objectifs de la décision-cadre et contribuent à simplifier ou à faciliter davantage les procédures de remise des personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen ». Le quatrième alinéa de cette même disposition, prescrit que « les Etats membres notifient au Conseil et à la Commission, dans les trois mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente décision-cadre, les accords ou arrangements existants visés au premier alinéa qu’ils souhaitent continuer d’appliquer ».

Conformément à l’article 32, les demandes d’extradition reçues à partir du 1 janvier 2004 seront régies « par les règles adoptées par les Etats membres en exécution de la décision-cadre », avec la possibilité pour ceux-ci de faire une déclaration indiquant que, en tant qu’Etats membres d’exécution, ils continueront de traiter selon le système d’extradition applicable avant le 1er janvier 2004 les demandes relatives à des faits commis avant une date qu’ils indiquent. En l’espèce, la France a procédé à une telle déclaration pour les faits antérieurs au 1er novembre 1993.

Les questions préjudicielles de la juridiction de renvoi sont au nombre de deux. Premièrement, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Montpellier s’interroge si, au vu de l’article 31, paragraphe 2, quatrième alinéa, de la décision-cadre, le défaut de notification par l’Espagne de son intention de continuer d’utiliser d’autres procédures d’extradition que celle du mandat d’arrêt européen dans ses relations avec un autre Etat membre, fait obstacle à la mise en oeuvre d’une demande d’extradition fondée sur la convention de 1996.

Deuxièmement, la Cour est invitée à prendre position sur la question de savoir si, au vu de l’article 32 de la décision-cadre, la France pourrait traiter la demande d’extradition sur la base de la convention de 1996, même lorsque celle-ci n’est devenue applicable dans cet Etat qu’au 1er juillet 2005, donc postérieurement à la date mentionnée dans l’article 32 de la décision-cadre.

Avant de passer à l’analyse du fond, la Cour examine sa compétence pour répondre aux questions préjudicielles précitées, car la demande de décision préjudicielle est fondée sur l’article 234 CE, mais porte sur la décision-cadre 2002/584, laquelle relève du titre VI du traité UE.

La Cour rappelle que, conformément à l’article 46, sous b), UE, les dispositions des traités CE et CEEA relatives à la compétence de la Cour et à l’exercice de cette compétence, parmi lesquelles figure l’article 234 CE, sont applicables à celles du titre VI du traité UE, dans les conditions prévues à l’article 35 UE. Il en résulte que le régime prévu à l’article 234 CE a vocation à s’appliquer à la compétence préjudicielle de la Cour au titre de l’article 35 UE, sous réserve des conditions prévues à cette disposition (voir, en ce sens, arrêts du 16 juin 2005, Pupino, C-105/03, Rec. p. I-5285, ainsi que du 28 juin 2007, Dell’Orto, C-467/05, Rec. p. I-5557).

La France a indiqué, par une déclaration du 14 mars 2000, prenant effet le 11 juillet 2000, qu’elle acceptait la compétence de la Cour pour statuer sur la validité et l’interprétation des actes visés à l’article 35 UE selon les modalités prévues au paragraphe 3, sous b), de cet article. Selon de la Cour de justice, le fait que la juridiction nationale mentionne l’article 234 CE à la place de l’article 35 UE ne saurait, à lui seul, entraîner l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle, d’autant plus que le traité UE ne prévoit ni explicitement, ni implicitement la forme dans laquelle la juridiction nationale doit présenter sa demande de décision préjudicielle (voir arrêt Dell’Orto, précitée).

Par ailleurs, la Cour examine si la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Montpellier constitue une juridiction au sens de l’article 234 CE, légitimée à saisir la Cour dans le cadre d’un renvoi préjudiciel. A cet égard, elle constate que les chambres d’instruction des cours d’appel remplissent les conditions d’origine légale, de permanence et d’indépendance prises en compte dans sa jurisprudence pour l’appréciation du caractère juridictionnel de l’organisme de renvoi (voir, notamment, arrêt du 31 mai 2005, Syfait e.a., C-53/03, Rec. p. I-4609). Dès lors, le recours est recevable.

S’agissant de la première question préjudicielle portant sur les conséquences de l’absence de notification par l’Espagne de son intention d’utiliser d’autres procédures que le mandat d’arrêt européen, la Cour de justice relève que la convention de 1996 ne fait pas partie des accords bilatéraux que les Etats membres peuvent continuer d’appliquer postérieurement au 1er janvier 2004, au sens de l’article 31, paragraphe 2, 1er alinéa, de la décision-cadre 2002/584.

Compte tenu de l’objectif de la décision-cadre de « remplacer » les conventions citées à l’article 31, paragraphe 1, dont fait partie la convention de 1996, par un régime plus simple et plus efficace, l’article 31, paragraphe 2, 1er alinéa, vise d’autres conventions, par lesquelles les Etats membres vont plus loin que la décision-cadre, dans le sens d’une simplification des procédures relatives à l’extradition. Toutefois, le remplacement du système d’extradition prévu par les conventions par le régime du mandat d’arrêt européen n’entraîne pas la disparition de ces conventions. Les Etats membres peuvent maintenir l’application des conventions en vertu des dispositions transitoires de la décision-cadre. En effet, l’article 32 prescrit que tout État membre peut, au moment de l’adoption de la décision-cadre, faire une déclaration indiquant que, en tant qu’Etat membre d’exécution, il continuera de traiter les demandes d’extradition reçues après le 1er janvier 2004 selon le système d’extradition applicable avant cette date.

Quant à la seconde question préjudicielle, il s’agit de savoir si l’expression de « système d’extradition applicable avant le 1er janvier 2004 » s’oppose à l’utilisation par la France de la convention de 1996, puisque celle-ci n’est devenue applicable dans cet Etat membre que postérieurement au 1er janvier 2004. La Cour de justice estime que la date de 1er janvier 2004 sert essentiellement à établir la limite entre le champ d’application du système d’extradition prévu par les conventions et celui du mandat d’arrêt européen. Comme la convention de 1996 n’était pas en vigueur au 1er janvier 2004, elle perdrait tout effet utile si les Etats membres ne pouvaient pas continuer d’adopter les procédures pour sa mise en oeuvre au niveau national. Il s’ensuit que le terme « applicable » figurant à l’article 32 ne peut être entendu comme désignant uniquement les conventions effectivement applicables entre les Etats membres au 1er janvier 2004 et donc la convention de 1996 reste utile malgré l’entrée en vigueur du mandat d’arrêt européen.

Par ailleurs, la convention de 1996 est conforme aux objectifs de l’Union européenne. A cet égard, la Cour souligne que cette convention fait partie de l’acquis de l’Union et que, par acte du 27 septembre 1996, le Conseil a recommandé son adoption par les Etats membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

En particulier, la mise en application de la convention de 1996 postérieurement au 1er janvier 2004 n’est pas contraire aux objectifs de la décision-cadre, laquelle vise par l’instauration d’un nouveau système simplifié de remise des personnes condamnées ou soupçonnées, à supprimer la complexité et les risques de retard inhérents aux procédures d’extradition existantes au moment de l’adoption de la décision-cadre. Par conséquent, la Cour de justice ne peut que conclure à l’application, par un Etat membre d’exécution, de la convention de 1996, même lorsque celle-ci n’est devenue applicable dans cet Etat membre que postérieurement au 1er janvier 2004.

Cet arrêt a été rendu dans le cadre de la procédure préjudicielle d’urgence applicable, à compter du 1er mars 2008, aux renvois concernant les titres VI du traité sur l’Union européenne (coopération policière et judiciaire en matière pénale) et IV de la troisième partie du traité CE (visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes, notamment la coopération judiciaire en matière civile). Cette procédure, régie par les articles 23bis du protocole sur le statut de la Cour de justice et 104ter de son règlement de procédure, se traduit par une simplification des étapes devant la Cour permettant aux juges de traiter les affaires relevant de l’espace de liberté, de sécurité et de justice dans un délai considérablement plus court. Pour plus d’informations relatives à cette procédure, veuillez consulter la note informative de la Cour de justice.


Reproduction autorisée avec indication : Mihaela Nicola, "Mandat d’arrêt européen et conventions relatives à l’extradition", www.ceje.ch, actualité du 29 septembre 2008.