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Vente à perte : un revirement de jurisprudence semble amorcé

Laura Marcus , 15 novembre 2017

Les méthodes de promotions de vente ont déjà souvent fait couler l’encre de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE »). L’arrêt du 19 octobre 2017 vient ajouter quelques intéressantes lignes à une jurisprudence déjà fournie en la matière.

L’affaire soumise, par voie préjudicielle, à la CJUE concerne un litige opposant Europamur SA à l’administration régionale du commerce et de la protection des consommateurs (Region de Murcie – Espagne), au sujet de la légalité d’une sanction administrative infligée à Europamur en raison d’une infraction à l’interdiction de vendre à perte prévue par la législation espagnole relative au commerce de détail.

La juridiction espagnole saisie du litige a décidé de surseoir à statuer afin de demander si la directive sur les pratiques commerciales déloyales (2005/29) doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale qui contient une interdiction de vendre des biens à perte et qui prévoit des motifs de dérogation à cette interdiction fondés sur des critères ne figurant pas dans cette directive.

La Cour rappelle tout d’abord que, comme elle l’a déjà jugé, la directive sur les pratiques commerciales déloyales doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale qui prévoit une interdiction générale de vendre des biens à perte, sans qu’il soit nécessaire de déterminer, au regard du contexte factuel de chaque espèce, si l’opération commerciale en cause présente un caractère « déloyal » à la lumière des critères énoncés aux articles 5 à 9 de cette directive et sans reconnaître aux juridictions compétentes une marge d’appréciation à cet égard, à la condition que cette disposition poursuive des finalités tenant à la protection des consommateurs (pt 34).

La Cour constate ensuite que l’exposé des motifs de la législation nationale litigieuse expose que son objectif premier est de protéger les consommateurs. Selon le législateur, cette finalité s’impose même lorsqu’il s’agit de vente entre grossistes et petits commerçants car ces ventes ont des répercussions sur les consommateurs (pt 35).

C’est d’ailleurs en raison de cette finalité que la juridiction nationale a sollicité une interprétation de la directive 2005/29 par la CJUE.

Par ailleurs, la Cour rappelle que la directive précitée procède à une harmonisation complète des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales. Les Etats membres ne peuvent donc pas adopter de mesures plus restrictives, même dans l’objectif d’assurer un degré plus élevé de protection des consommateurs.

Faisant ensuite référence à ses arrêts Plus, Wamo et VTB-VAB, la CJUE constate que la législation crée un renversement de la charge de la preuve (il existe une présomption qu’il incombe au professionnel de renverser). Or les ventes à pertes ne figurent pas sur la « liste noire » de pratiques commerciales déloyales prévues à l’annexe I de la directive 2005/29 (liste de pratiques considérées comme déloyales en toutes circonstances). Ainsi, l’imposition d’une sanction pour violation de l’interdiction d’une telle vente à perte doit être précédée par une analyse du caractère déloyal de ladite vente à la lumière des critères énoncés aux articles 5 à 9 de la directive, et ne saurait reposer sur une présomption qu’il incomberait au professionnel de renverser (pt 42).

Dans ces conditions, la CJUE a répondu à la question préjudicielle en ce sens que la directive sur les pratiques commerciales déloyales s’oppose à une disposition nationale qui contient une interdiction générale de vendre des biens à perte et qui prévoit des motifs de dérogation fondés sur des critères ne figurant pas dans cette directive.

Il est intéressant de noter que la Cour a soulevé le fait que le législateur espagnol avait précisé dans l’exposé des motifs de la législation nationale litigieuse que sa finalité première était de protéger les consommateurs, même dans l’hypothèse de vente entre grossistes et petits commerçants. Or, il ressortait qu’Europamur, une des parties au principal, vendait en qualité de grossiste des produits ménagers et alimentaires aux supermarchés ainsi qu’aux commerces de proximité qui subissaient directement la concurrence des grandes chaînes de supermarchés. Étant affiliée à une centrale d’achat, Europamur pouvait proposer aux petits commerçants des produits à des prix concurrentiels qui leur permettaient de faire face auxdites chaînes.

Ainsi, il s’agissait ici principalement de protéger les intérêts de concurrents, et non des consommateurs directement. La CJUE s’est toutefois arrêtée à une lecture littérale de l’exposé de motifs précité afin d’estimer que la finalité poursuivie est celle de protéger les consommateurs.

Or depuis l’ordonnance WAMO (2011), et, certainement, depuis l’arrêt RLvS (2013), la Cour avait établi que la directive 2005/29 n’a vocation à s’appliquer que si le destinataire de la disposition nationale en cause poursuit effectivement des finalités tenant à la protection des consommateurs, ce que doit vérifier le juge national (pt 35 de l’arrêt RLvS). Ainsi, selon cette jurisprudence, la juridiction nationale ne pouvait se contenter de vérifier la volonté déclarée du législateur national quant aux finalités de sa législation mais devait vérifier si elle a effectivement pour objet de poursuivre un objectif de protection des consommateurs. Selon nous, il convient d’ajouter que, conformément au considérant 6 de la directive 2005/29, une disposition nationale n’entre dans son champ d’application que si elle poursuit de manière effective et directe (et non simplement indirecte) un objectif de protection des consommateurs.

Dans l’affaire analysée plus haut, la CJUE s’est arrêté à une lecture de la volonté déclarée du législateur espagnol or, au vu des informations qui ressortent de l’arrêt rendu par la CJUE, il nous semble que la mesure litigieuse ne poursuit pas un objectif direct de protection des consommateurs. Il s’agissait clairement d’une pratique entre professionnels (afin de faire face à la concurrence des chaines de supermarchés s’approvisionnant dans les centrales d’achat). De même, on ne voit pas en quoi la pratique litigieuse porte atteinte à l’intérêt des consommateurs puisqu’il s’agit de permettre aux petits commerçants d’arriver à s’aligner sur les prix bas pratiqués dans les chaines de supermarchés.

Selon nous, la législation nationale ne poursuit pas un objectif effectif et direct de protection des consommateurs et ne doit ainsi pas entrer, ipso facto, dans le champ d’application de la directive 2005/29.

L’arrêt Europamur semble marquer un changement dans la jurisprudence de la CJUE.

Laura Marcus, Vente à perte : un revirement de jurisprudence semble amorcé, Actualité du 15 novembre 2017, disponible sur www.ceje.ch