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Précisions en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas d’annulation d’un vol

Mihaela Nicola , 31 octobre 2011

L’arrêt du 13 octobre 2011 (C-83/10) de la Cour de justice concerne la question de l’indemnisation de sept passagers pour le préjudice subi suite à l’annulation d’un vol reliant Paris à Vigo. En raison d’un problème technique de l’aéronef, le pilote avait, quelques minutes après le décollage, décidé de retourner à l’aéroport d’origine (Paris Charles de Gaulle). Vu l’impossibilité de l’aéronef de redécoller, Air France a proposé aux passagers concernés différentes modalités de vol pour parvenir à leur destination. Ainsi, trois d’entre eux ont été invités à prendre un vol partant le lendemain de l’aéroport de Paris-Orly, à destination de Porto, d’où ils ont gagné Vigo au moyen d’un taxi. Un autre voyageur a été placé sur un vol de Paris à Vigo, via Bilbao. Les passagers restants ont été enregistrés sur un vol Paris-Vigo, décollant le lendemain, à la même heure que celui ayant connu l’avarie. Quant aux services d’assistance ou d’hébergement offerts par la compagnie aérienne Air France, c’est un seul passager qui s’est vu proposer de tels services. Devant la juridiction espagnole, les requérants assignent Air France au paiement d’une indemnisation au titre de l’annulation de leur vol, à concurrence du montant forfaitaire de 250 euros chacun, tel que prévu aux articles 5 et 7 du règlement n° 261/2004. L’un des requérants réclame, en outre, le remboursement de la somme de 170 euros pour couvrir les frais de transfert en taxi de l’aéroport de Porto jusqu’à Vigo. Un autre requérant sollicite le remboursement de ses frais de repas pris à l’aéroport de Paris, ainsi que ceux liés au gardiennage de son chien durant une journée de plus que celle initialement prévue. Tous les requérants demandent, enfin, la condamnation d’Air France à leur payer une somme supplémentaire au titre de la réparation du dommage moral qu’ils estiment avoir subi.

La première question préjudicielle invite la Cour de justice à préciser la portée de la notion d’annulation ancrée dans le règlement n° 261/2004. Conformément à l’article 2, sous l), de ce règlement, l’« annulation » se définit comme « le fait qu’un vol qui était prévu initialement et sur lequel au moins une place était réservée n’a pas été effectué ». Le point déterminant est donc de savoir si la notion d’« annulation » vise exclusivement l’hypothèse de l’absence de tout décollage de l’avion en cause ou si elle couvre également le cas où cet avion, bien qu’ayant décollé, a été contraint de retourner à l’aéroport de départ, par la suite d’une défaillance technique de l’appareil. La Cour de justice privilégie une interprétation large de cette notion, en se référant à ses arrêts du 10 juillet 2008, Emirates Airlines, C‑173/07, Rec. p. I‑5237 et du 19 novembre 2009, Sturgeon e.a., C‑402/07 et C‑432/07, Rec. p. I‑10923. Un vol n’est pas considéré comme ayant été effectué dans la mesure où l’avion n’a pas atteint la destination figurant dans l’itinéraire. Cette conclusion s’impose même si le vol en cause a donné lieu à un départ. Aux fins de l’application de l’article 2, sous l), du règlement, il n’est pas besoin de l’adoption par le transporteur aérien d’une décision explicite relative à l’annulation du vol prévu. En outre, il n’est pas nécessaire que tous les passagers qui avaient réservé une place sur le vol initial soient transportés sur un autre vol. A cet égard, ce qui compte c’est le fait que, s’agissant du passager concerné, la programmation initiale du vol a été abandonnée. Enfin, le motif pour lequel l’avion a été contraint de revenir à l’aéroport de départ n’a pas d’incidence sur la qualification d’« annulation », au sens de l’article 2, sous l), du règlement.

La deuxième question préjudicielle vise, en premier lieu, à savoir si la notion d’« indemnisation complémentaire », prévue à l’article 12 du règlement n° 261/2004, s’étend au préjudice moral qui résulte d’une inexécution du contrat de transport aérien. Elle vise, en deuxième lieu, à déterminer si ladite indemnisation peut être accordée au titre du manquement du transporteur aérien à l’obligation d’assistance (remboursement du billet ou réacheminement vers la destination finale, prise en charge des frais de transfert entre l’aéroport d’arrivée et l’aéroport initialement prévu) et de prise en charge (des frais de restauration, d’hébergement et de communication) prévues par les articles 8 et 9 du règlement. En troisième lieu, le juge national souhaite savoir s’il peut condamner le transporteur aérien à indemniser le préjudice résultant pour les passagers du non-respect des obligations prévues articles 8 et 9 du règlement « sans que ces dispositions aient été invoquées ».

En réponse au premier point de la deuxième question préjudicielle, la Cour réitère l’interprétation retenue dans son arrêt du 6 mai 2010, Walz (C‑63/09), qui a étendu l’indemnisation prévue au chapitre III de la convention de Montréal, y compris celle fixée à son article 22, paragraphe 2, à l’intégralité du préjudice causé, indépendamment de la nature matérielle ou morale de celui-ci. Comme le règlement n° 261/2004 vise à mettre en œuvre les dispositions de la convention de Montréal, il en ressort que le préjudice susceptible d’indemnisation en application de l’article 12 du règlement peut être un préjudice de nature non seulement matérielle, mais aussi morale. S’agissant de l’étendue de l’indemnisation complémentaire aux dépenses effectuées par les passagers en raison du non-respect, par le transporteur aérien, des obligations d’assistance et de prise en charge qui lui incombent en vertu des articles 8 et 9 du règlement, la Cour de justice estime que les prétentions fondées sur lesdits articles «ne sauraient être considérées comme relevant d’une indemnisation complémentaire ». Comme elle le souligne, l’article 12 permet aux passagers l’indemnisation du préjudice résultant « d’un fondement juridique distinct du règlement n° 261/2004, c’est-à-dire, notamment, dans les conditions prévues par la convention de Montréal ou par le droit national ». Toutefois, la protection des passagers n’est pas affaiblie. Selon la Cour de justice, « lorsqu’un transporteur aérien manque aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 8 et 9 du règlement n° 261/2004, les passagers aériens sont fondés à faire valoir un droit à indemnisation sur la base des éléments énoncés auxdits articles ». Elle pose donc comme principe le droit des passagers aériens de réclamer une indemnisation non pas sur le fondement de l’article 12 du règlement, mais sur le fondement des articles 8 et 9, en cas de non-respect par le transporteur aérien des obligations prévues par ces derniers, même si ceux-ci ne prévoient pas explicitement la possibilité d’une telle indemnisation. De plus, l’indemnisation en question peut être accordée, « même si ces dispositions n’ont pas été citées par les passagers aériens ».

Avec cet arrêt, la Cour de justice comble une lacune notable dans la protection des passagers aériens. Une compagnie aérienne est tenue désormais de verser à ses passagers une indemnisation au titre de l’article 7 du règlement n° 261/2004 en cas d’annulation postérieure au départ, à moins que celle-ci ne soit exonérée de cette obligation dans les conditions prévues aux paragraphes 1, lettre c) et 3, de l’article 5 du règlement. En outre, les passagers aériens pourront, sur le fondement des articles 8 et 9 du règlement, tenter une action en responsabilité contre la compagnie aérienne pour les désagréments occasionnés par le manquement de celle-ci à l’obligation de prise en charge et d’assistance, indépendamment du fait qu’ils aient ou non exigé l’exécution de ces obligations en temps utile. 


Reproduction autorisée avec l’indication: Mihaela Nicola, « Précisions en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas d’annulation d’un vol », actualité du 31 octobre 2011.