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Indemnisation forfaitaire de passagers en cas de vol retardé

Anicée Lay , 3 décembre 2009

L’arrêt du 19 novembre 2009 dans les affaires jointes C-402/07 et C-432/07, Sturgeon/Condor Flugdienst GmbH et Böck e.a. /Air France SA, précise les droits dont disposent les passagers d’un vol retardé en vertu du règlement n° 261/2004. La Cour de justice répond à plusieurs questions posées par le Bundesgerichtshof (Cour suprême allemande) et le Handelsgericht Wien (Tribunal de Commerce de Vienne). L’examen de la Cour porte sur trois questions. Il s’agit de savoir si un retard de vol doit être considéré comme une annulation de vol, si les passagers de vols retardés peuvent être assimilés aux passagers de vols annulés et si un problème technique survenu à l’aéronef relève de la notion de « circonstances extraordinaires ».

Les juridictions nationales doivent respectivement décider sur des recours concernant des passagers, qui réclament le versement d’indemnités en raison d’annulation de vols. Les articles 5, paragraphe 1, sous c), et 7, du règlement prévoient qu’une indemnisation forfaitaire est attribuée aux passagers, lorsqu’un vol est annulé. Cependant, une telle indemnisation forfaitaire n’est pas prévue lorsque le vol est retardé.

La famille Sturgeon est arrivée à Francfort-sur-le-Main avec environ 25 heures de re-tard par rapport à l’horaire prévu. Les passagers du vol avaient été informés que le vol avait été annulé, ils ont récupéré leurs bagages et passé la nuit à l’hôtel avant d’être enregistrés au comptoir d’une autre compagnie aérienne pour un vol qui portait le même numéro que celui qui figurait sur leurs réservations. L’autre affaire concerne M. Böck et Mme Lepuschitz, les-quels sont arrivés à Vienne avec presque 22 heures de retard. Les faits dans les deux affaires jointes sont similaires.

Dans les deux cas, les passagers considèrent que les vols n’ont pas été retardés mais annulés. Les compagnies aériennes, quant à elles, font valoir le contraire et invoquent uniquement le retard, qui serait en outre imputable à des « circonstances extraordinaires » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement. Les juridictions nationales ont décidé qu’il s’agissait d’un retard.

La Cour de justice a considéré qu’il s’agit dans les deux cas de vols retardés. Mais, inspirée par les conclusions de l’avocat général Sharpston, présentées le 2 juillet 2009, elle a favorisé une interprétation donnant aux passagers les mêmes droits en cas d’annulation et en cas de retard de vol. Quant aux « circonstances extraordinaires », la Cour a confirmé sa jurisprudence antérieure (arrêt du 22 décembre 2008, Friederike Wallentin-Hermann gegen Alita-lia - Linee Aeree Italiane SpA).

La notion « d’annulation » est définie à l’article 2, lettre l), du règlement comme « le fait qu’un vol qui était prévu initialement et sur lequel au moins une place était réservée n’a pas été effectué ». Le règlement est silencieux sur la notion de « retard ». La Cour de justice a estimé qu’un vol est « retardé » au sens de l’article 6 du règlement n° 261/2004, s’il est effectué conformément à la programmation initialement prévue et si l’heure effective de son départ est retardée par rapport à l’heure de départ prévue. Par conséquent, un vol peut être considéré comme annulé, lorsque le transport des passagers est assuré par un autre vol, programmé indépendamment du vol pour lequel les passagers avaient fait une réservation. En revanche, un vol ne peut être considéré comme annulé à cause d’un retard très important.

La Cour de justice a tenu compte des motifs qui ont conduit à l’adoption du règlement pour conclure, que les passagers ont droit à une indemnisation. Ce droit n’est pas expressément prévu dans le règlement. Mais, l’objectif du règlement est de garantir un « niveau élevé de protection aux passagers aériens indépendamment du fait qu’ils se trouvent dans une situation de refus d’embarquement, d’annulation ou de retard de vol, puisqu’ils sont tous victimes de difficultés et de désagréments sérieux similaires liés au transport aérien ». Le préjudice subi en raison d’un retard est considéré analogue à celui subi en raison d’une annulation. Par conséquent, les passagers de « vols retardés peuvent être assimilés aux passagers de vols an-nulés ». Pour définir le moment à partir duquel une indemnisation devient nécessaire, la Cour s’est inspiré de l’article 5, paragraphe 1, sous c), iii), du règlement. En vertu de cette disposition, une indemnisation devient nécessaire, lorsque le transporteur ne réachemine pas les passagers par un vol qui part « au plus tôt une heure avant l’heure de départ prévue » et qui arrive à la destination finale « moins de deux heures après l’heure prévue d’arrivée ». La Cour de justice conclut que le droit à indemnisation existe lorsque la perte de temps est « égale ou supérieure à trois heures par rapport à la durée qui avait été prévue initialement par le transporteur ». C’est la perte de temps qui justifie une indemnisation. Lorsqu’un vol décolle plus d’une heure avant que l’horaire prévu, une indemnisation peut donc aussi devenir nécessaire.

La notion de « circonstances ordinaires » est interprétée « en ce sens, qu’un problème technique survenu à un aéronef qui entraîne l’annulation d’un vol ne relève pas de la notion [...], sauf si ce problème découle d’événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à sa maîtrise effective ».

Ainsi, la Cour de justice a donné une interprétation large des dispositions qui donnent droit à indemnisation. Elle a attribué beaucoup de poids au principe d’égalité de traitement et à l’objectif du règlement tout en allant au-delà des termes du règlement. Les passagers jouis-sent dorénavant du droit à indemnisation, prévu à l’article 7 du règlement, et reçoivent des dommages et intérêts lorsque le voyage s’allonge de plus de trois heures.

A première vue, cet arrêt de la Cour de justice est favorable aux passagers qui subissent le retard des compagnies aériennes. L’avenir nous dira si les coûts liés à ces indemnisations seront répercutés par les compagnies aériennes sur les utilisateurs par le biais d’une augmentation générale des prix des billets d’avion.


Reproduction autorisée avec indication : Anicée Lay, "Indemnisation forfaitaire de passagers en cas de vol retardé", www.ceje.ch, actualité du 3 décembre 2009.