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Droit à l’aide sociale des citoyens de l’UE à la recherche d’un emploi - vers le maintien du critère du lien de rattachement avec le marché du travail ?

Silvia Gastaldi , 6 avril 2009

Le 12 mars 2009, l’avocat général Colomer a rendu ses conclusions dans l’affaire Vatsouras et Koupatantze (C-22/08 et C-23/08) concernant le droit à l’aide sociale de deux ressortissants grecs à la recherche d’un travail en Allemagne.

La législation allemande, en l’occurrence l’article 7 § 1 du livre II du Sozialgestzbuch, exclut l’octroi de prestations d’aide sociale pour tous les ressortissants étrangers dont le séjour vise exclusivement la recherche d’un emploi. M. Vatsouras qui a travaillé en Allemagne pendant près d’un an en échange d’une faible rémunération et M. Koupatantze qui a été employé pendant deux mois avant que les problèmes financiers de son employeur n’entraînent son licenciement, ont tous deux fait une demande pour obtenir des prestations d’aide sociale en Allemagne. Face au refus des autorités allemandes, ces deux ressortissants grecs ont recouru devant le Sozialgericht de Nürenberg qui a posé une question préjudicielle à la Cour de justice.

La première question juridique concerne la portée de la notion de travailleur. L’avocat général a en effet dû vérifier si les deux ressortissants grecs pouvaient être qualifiés de travailleurs au sens de l’article 39 CE, auquel cas ils auraient droit à l’égalité de traitement en matière d’aide sociale.

Selon les arrêts Levin, Lawrie-Blum et Kranemann, la Cour a jugé que le niveau de la rémunération n’est pas un élément déterminant pour la qualification de travailleur, du moment qu’il s’agit d’une activité réelle et effective. Selon l’avocat général, la qualité de travailleur peut être écartée uniquement si la rémunération est nettement inférieure au revenu minimum de subsistance, ce qui n’est pas le cas de M. Vatsouras qui ne recevait qu’une rémunération légèrement inférieure à ce revenu minimal. En outre, la durée de la relation de travail n’est pas davantage déterminante pour la qualification d’activité réelle et effective. L’avocat général se base sur l’arrêt Ninni-Orasche dans lequel un emploi d’une durée de deux mois et demi a été considéré comme suffisant pour conférer le statut de travailleur et ce, indépendamment de l’éventuel comportement abusif du citoyen. M. Koupatantze qui a travaillé en Allemagne pendant deux mois avant son licenciement involontaire doit donc être considéré comme un travailleur en tout état de cause.

Selon l’avocat général, M. Vatsouras et M. Koupatantze relèvent ainsi de la notion de travailleurs. Par conséquent, ils maintiennent cette qualité pendant les 6 premiers mois suivant la perte de leur emploi en vertu de la directive 2004/38 (voir l’article 7 § 3 let. c pour les emplois d’une durée inférieure à un an dans l’Etat membre d’accueil) et bénéficient pendant cette durée de l’article 39 CE et de l’article 24 de la directive 2004/38 qui garantissent aux travailleurs un traitement identique à celui appliqué à tout autre travailleur allemand, y compris en matière d’aide sociale. L’avocat général conclut ainsi à l’incompatibilité de la loi allemande avec le droit communautaire.

Subsidiairement, l’Avocat général a dû examiner la question de la validité et de l’interprétation de l’exclusion du droit à l’aide sociale prévue par l’article 24 § 2 de la directive 2004/38 pour les demandeurs d’emploi qui ne relèvent pas de la notion de travailleur. En effet, dans l’hypothèse où la Cour jugerait que les deux ressortissants grecs ne peuvent être qualifiés de travailleurs, l’Allemagne pourrait fonder son refus d’octroi de prestations sociales sur cette base.

Aux termes de l’article 24 § 2, un Etat membre d’accueil peut refuser l’octroi de toute aide sociale pendant les 3 premiers mois de séjour d’un citoyen, ou pendant la période plus longue où un citoyen est à la recherche de son premier emploi dans cet Etat. Cette exclusion prend fin après 5 ans au plus tard, lorsque le citoyen obtient le droit de séjour permanent dans l’Etat d’accueil (articles 16ss de la directive) et bénéficie ainsi du droit à l’égalité de traitement dans tous les domaines du Traité CE.

Selon l’avocat général Colomer, l’article 24 § 2 est compatible avec le Traité CE mais doit être interprété de manière conforme à l’arrêt Collins. Selon cette jurisprudence fondée sur les articles 12 et 39 CE, le citoyen à la recherche d’un premier emploi (un citoyen n’ayant donc pas ou plus la qualité de travailleur) a droit à l’égalité de traitement avec les nationaux de l’Etat d’accueil dès lors qu’il présente un lien de rattachement avec le marché de l’emploi de cet Etat. Pour s’assurer d’un tel rattachement, l’Etat membre d’accueil peut exiger du citoyen qu’il ait résidé pendant une certaine durée sur son territoire, ou qu’il y ait effectivement et réellement cherché un emploi pendant une période d’une durée raisonnable. L’exclusion automatique de toute aide sociale pendant les cinq ans précédant l’acquisition du droit de séjour permanent serait ainsi contraire à cette jurisprudence, en particulier concernant les aides sociales liées à la réinsertion professionnelle. Le particulier devrait donc pouvoir faire valoir un tel rattachement avant le délai de 5 ans.

Il est vrai que dans le récent arrêt Förster, la Cour a jugé qu’un Etat membre était en droit d’exiger une période de résidence de 5 ans afin qu’un étudiant bénéficie d’une aide à l’entretien sur son territoire, sans tenir compte du degré élevé d’intégration dans la société que cet étudiant pourrait établir avant ces 5 ans d’attente. Mais, selon l’avocat général Colomer, le cas Förster peut être distingué du cas d’espèce car, contrairement à l’aide sociale, l’octroi d’aides à l’entretien est expressément exclu par l’article 24 § 2 pour les étudiants avant l’obtention du droit de séjour permanent.

L’avocat général en conclut que l’article 24 § 2 doit être interprété comme donnant accès à l’aide sociale pour les citoyens à la recherche d’un emploi lorsqu’ils peuvent démontrer un lien de rattachement avec l’Etat membre d’accueil et ce, même avant les 5 ans d’attente. Il considère qu’un tel lien existe du moment que la personne à la recherche d’un emploi a exercé antérieurement une activité économique qui accroît ses chances de retrouver un emploi.

Il est envisageable que la Cour de justice suive les conclusions de l’avocat général Colomer et exige des Etats membres qu’ils prennent en compte la situation individuelle des citoyens demandeurs d’emploi lors d’une demande d’aide sociale. Cette interprétation théologique de l’article 24 § 2 aurait d’une part, l’avantage de tenir compte de cette catégorie particulière et privilégiée d’inactifs que sont les demandeurs d’emploi (voir le droit de séjour inconditionnel de l’article 6 et le renvoi impossible pendant toute la durée de la recherche d’emploi de l’article 14 de la directive 2004/38), d’autre part, elle serait en accord avec les arrêts Grzelczyk et Trojani relatifs à l’aide sociale.

Certes, la Cour pourrait se prononcer en faveur d’une lecture littérale de l’article 24 § 2, privilégiant une certaine sécurité juridique en fixant une limite claire de 5 ans aux Etats membres, comme dans l’arrêt Förster. Toutefois, cette solution risquerait non seulement de mettre en cause les acquis des demandeurs d’emploi issus de la jurisprudence Collins, mais également de désavantager les personnes à la recherche d’un emploi par rapport aux autres inactifs qui, après les trois premiers mois d’exclusion, ont déjà droit à l’aide sociale à certaines conditions (arrêt Grzelczyk).

Il est néanmoins plus probable que la Cour de justice, en l’occurrence sa troisième chambre, ne se prononce finalement pas sur la question subsidiaire des demandeurs d’emploi inactifs mais se contente de confirmer la qualité de travailleur des ressortissants grecs, considérant la législation allemande incompatible avec le droit communautaire, mais uniquement concernant les personnes maintenant la qualité de travailleur en vertu de la directive 2004/38. Les conclusions de l’avocat général auraient alors tout de même le mérite de donner une première interprétation de l’article 24 § 2 qui pourrait inciter les citoyens de l’Union à faire recours si un Etat membre d’accueil leur refuse des prestations d’aide sociale dans le cadre de leur recherche d’emploi.


Reproduction autorisée avec indication : Silvia Gastaldi, "Droit à l’aide sociale des citoyens de l’UE à la recherche d’un emploi - vers le maintien du critère du lien de rattachement avec le marché du travail ?", www.ceje.ch, actualité du 6 avril 2009.