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La directive 1999/32 et la convention Marpol 73/78

Mihaela Nicola , 3 février 2014

La question de l’appréciation de la validité du droit dérivé de l’Union européenne à la lumière de la convention

Marpol 73/78 relative à la prévention de la pollution par les navires a déjà été tranchée par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 3 juin 2008 (aff. Intertanko, C-308/06). Une demande de question préjudicielle adressée par le juge italien dans l’affaire Manzi et Compagnia Naviera Orchestra, lui a donné la possibilité de réitérer les principes établis dans son jugement précédent, en privilégiant l’application de la directive 1999/32 concernant une réduction de la teneur en soufre de certains combustibles liquides par rapport à ladite convention.

Les demandeurs au principal, M. Manzi et la Compagnia Naviera Orchestra, ont été sanctionnés par la capitainerie du port de Gênes pour la méconnaissance, par le navire de croisière MSC Orchestra, battant pavillon panaméen, de la teneur maximale de 1,5 % en soufre des combustibles marins, prévue à l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32, laquelle a été transposée dans le droit italien par les articles 295 et 296 du décret législatif national. Dans le recours introduit contre l’ordonnance-injonction, les requérants faisaient d’abord valoir que les dispositions concernées ne s’appliquaient pas à un navire de croisière, tel que MSC Orchestra. D’autre part, ils contestaient la validité de la limitation de la teneur en soufre prévue par la directive 1999/32 au regard de l’annexe VI du protocole de 1997 modifiant la convention Marpol 73/78, dans la mesure où le navire en cause battait pavillon d’un Etat partie à cette convention et que l’annexe susmentionnée autorisait, au moment du litige, un seuil de soufre des combustibles marins plus élevé, soit de 4,5 %. La juridiction nationale a invité la Cour de justice de l’Union européenne à se prononcer sur l’étendue du champ d’application de la directive 1999/32 ainsi que sur la problématique des rapports existant entre cette directive et la convention Marpol 73/78.

Se penchant d’abord sur l’interprétation des conditions établies par la directive 1999/32, pour qu’un navire relève du régime institué par celle-ci, la Cour de justice considère notamment qu’un navire de croisière, tel que celui de l’espèce, satisfait au critère relatif aux « services réguliers » prévu à l’article 2, point 3 octies, de la directive. A cet égard, elle souligne que la finalité touristique d’un tel navire est dépourvue de toute pertinence aux fins de l’interprétation de ce critère, dans la mesure où le législateur de l’Union n’a aucunement précisé les objectifs pour lesquels un transport est effectué. En même temps, un navire de croisière doit répondre à l’exigence énoncée à l’article 2, point 3 octies, de la directive 1999/32, qui suppose, comme la Cour de justice le souligne, qu’une compagnie maritime propose au public une liste de traversées en mer, à une fréquence déterminée, à des dates précises et, en principe, à des heures de départ et d’arrivée précises, les intéressés ayant la liberté de choisir entre les différentes croisières offertes par ladite compagnie.

S’agissant ensuite de la question relative à l’éventuelle application de la convention Marpol 73/78 dans l’ordre juridique de l’Union européenne, la réponse de la Cour de justice est la même que celle de l’arrêt Intertanko. Dans la mesure où l’Union n’est pas partie contractante à la convention Marpol 73/78, y compris l’annexe VI, et qu’elle n’est pas liée par celle-ci, la validité de l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32 ne saurait être appréciée au regard de cette annexe. Dans le même ordre d’idée, la validité dudit article ne peut pas non plus être examinée au regard du principe de droit international général pacta sunt servanda car ce principe obligatoire s’applique uniquement aux sujets de droit international qui sont parties contractantes à un accord international donné et qui, de ce fait, sont liées par ce dernier. Selon la Cour de justice, l’appréciation de la validité des dispositions en cause au regard des règles de la convention Marpol 73/78 aurait été possible si celle-ci avait été le reflet du droit international coutumier, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Par ailleurs, les requérants ne sauraient contourner ces principes, bien ancrés dans la jurisprudence de la Cour de justice, en invoquant une prétendue violation du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE.

Une dernière question à laquelle la Cour de justice est appelée à répondre concerne l’incidence de l’annexe VI de la convention Marpol 73/78, sur la portée de l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32, au regard du principe de droit international général qui impose que les accords internationaux soient exécutés et interprétés de bonne foi. Dans la mesure où l’annexe VI a été insérée dans la convention Marpol l73/78 par un protocole auquel seuls 25 Etats membres de l’Union sont parties, elle considère que cette annexe ne fait pas partie de la catégorie des règles à la lumière desquelles les dispositions de la directive 1999/32 doivent être interprétées. Elle marque, sur ce point, une différence entre le régime juridique de l’annexe VI de la convention Marpol 73/78 et celui des autres dispositions de cette convention, à la lumière desquelles le droit dérivé de l’Union doit être interprété, tel qu’établi dans l’arrêt Intertanko. En effet, dans cet arrêt, la Cour de justice avait énoncé le principe de l’interprétation conforme du droit dérivé au regard de cette convention, compte tenu du fait que tous les Etats membres de l’Union y étaient parties. De surcroît, elle considère qu’une éventuelle interprétation de l’article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32 au regard de l’annexe en cause, aurait pour effet d’étendre la portée de cette dernière aux Etats membres qui n’y sont pas parties, dans le mépris du principe de droit international coutumier « pacta tertiis nec nocent nec prosunt » et du principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE.

Avec cet arrêt, la Cour de justice réaffirme la spécificité de l’ordre juridique de l’Union européenne, en préservant l’application et l’interprétation de son droit par rapport au droit international.


Mihaela Nicola, "La directive 1999/32 et la convention de Marpol 73/78", www.unige.ch/ceje, Actualité du 3 février 2014.

Catégorie: Action extérieure